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ce, et qui y cause sans doute de la pièce de monsieur Caron de Beaumarchais.

— Du Mariage de Figaro ?

— Oui, monseigneur.

— Savez-vous que vous êtes tout à fait lettré, monsieur ?

— Dans mes moments perdus, je lis, monseigneur.

— Nous avons monsieur de Condorcet qui, en sa qualité de géomètre, pourra bien se piquer de ponctualité.

— Oui ; mais il s’enfoncera dans un calcul, et quand il en sortira, il se trouvera d’une demi-heure en retard. Quant au comte de Cagliostro, comme ce seigneur est étranger et habite depuis peu de temps Paris, il est probable qu’il ne connaît pas encore parfaitement la vie de Versailles et qu’il se fera attendre.

— Allons, dit le maréchal, vous avez, moins Taverney, nommé tous mes convives, et cela dans un ordre d’énumération digne d’Homère et de mon pauvre Rafé. Le maître d’hôtel s’inclina.

— Je n’ai point parlé de monsieur de Taverney, dit-il, parce que monsieur de Taverney est un ancien ami qui se conformera aux usages. Je crois, monseigneur, que voilà bien les huit couverts de ce soir, n’est-ce pas ?

— Parfaitement. Où nous faites-vous dîner, monsieur ?

— Dans la grande salle à manger, monseigneur.

— Nous y gèlerons.

— Elle chauffe depuis trois jours, monseigneur, et j’ai réglé l’atmosphère à dix-huit degrés.

— Fort bien ! mais voilà la demie qui sonne.

Le maréchal jeta un coup d’œil sur la pendule.

— C’est quatre heures et demie, monsieur.

— Oui, monseigneur, et voilà un cheval qui entre dans la cour ; c’est ma bouteille de vin de Tokay.

— Puissé-je être servi vingt ans encore de la sorte, dit le vieux maréchal en retournant à son miroir, tandis que le maître d’hôtel courait à son office.

— Vingt ans ! dit une voix rieuse qui interrompit le duc juste au premier coup d’œil jeté sur sa glace, vingt ans ! mon cher maréchal, je vous les souhaite ; mais alors j’en aurai soixante, duc, et je serai bien vieille.