Page:Dumas - Le Chevalier de Maison-Rouge, 1853.djvu/97

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
79
LE CHEVALIER DE MAISON-ROUGE

la manière dont il se devait conduire dans la maison d’un ami.

— Gageons, répondit Maurice en souriant avec ironie, gageons que, si Dixmer dîne dehors, Morand ne s’est pas absenté, lui. Ah ! voilà ce qu’il faut m’opposer, Geneviève, pour m’empêcher de vous aimer ; car tant que ce Morand sera là, à vos côtés, ne vous quittant pas d’une seconde, continua-t-il avec mépris, oh ! non, non, je ne vous aimerai pas, ou, du moins, je ne m’avouerai pas que je vous aime.

— Et moi, s’écria Geneviève poussée à bout par cette éternelle suspicion, en étreignant le bras du jeune homme avec une sorte de frénésie, moi, je vous jure, entendez-vous bien, Maurice, et que cela soit dit une fois pour toutes, que cela soit dit pour n’y plus revenir jamais, je vous jure que Morand ne m’a jamais adressé un seul mot d’amour, que jamais Morand ne m’a aimée, que jamais Morand ne m’aimera ; je vous le jure sur mon honneur, je vous le jure sur l’âme de ma mère.

— Hélas ! hélas ! s’écria Maurice, que je voudrais donc vous croire !

— Oh ! croyez-moi, pauvre fou ! dit-elle avec un sourire qui, pour tout autre qu’un jaloux, eût été un aveu charmant. Croyez-moi ; d’ailleurs, en voulez-vous savoir davantage ? Eh bien, Morand aime une femme devant laquelle s’effacent toutes les femmes de la terre, comme les fleurs des champs s’effacent devant les étoiles du ciel.

— Et quelle femme, demanda Maurice, peut donc effacer ainsi les autres femmes, quand au nombre de ces femmes se trouve Geneviève ?

— Celle qu’on aime, reprit en souriant Geneviève, n’est-elle pas toujours, dites-moi, le chef-d’œuvre de la création ?

— Alors, dit Maurice, si vous ne m’aimez pas, Geneviève…

La jeune femme attendit avec anxiété la fin de la phrase.

— Si vous ne m’aimez pas, continua Maurice, pouvez-vous me jurer au moins de n’en jamais aimer d’autre ?

— Oh ! pour cela, Maurice, je vous le jure et de grand cœur, s’écria Geneviève, enchantée que Maurice lui offrît lui-même cette transaction avec sa conscience.

Maurice saisit les deux mains que Geneviève élevait au ciel, et les couvrit de baisers ardents.

— Eh bien, à présent, dit-il, je serai bon, facile, confiant ; à présent, je serai généreux. Je veux vous sourire, je veux être heureux.

— Et vous n’en demanderez point davantage ?

— Je tâcherai.

— Maintenant, dit Geneviève, je pense qu’il est inutile qu’on vous tienne ce cheval en main. La section attendra.

— Oh ! Geneviève, je voudrais que le monde tout entier attendît et pouvoir le faire attendre pour vous.

On entendit des pas dans la cour.

— On vient nous annoncer que nous sommes servis, dit Geneviève.

Ils se serrèrent la main furtivement.

C’était Morand qui venait annoncer qu’on n’attendait, pour se mettre à table, que Maurice et Geneviève. Lui aussi s’était fait beau pour ce dîner du dimanche.


CHAPITRE XIX

La demande



M orand, paré avec cette recherche, n’était point une petite curiosité pour Maurice.

Le muscadin le plus raffiné n’eût point trouvé un reproche à faire au nœud de sa cravate, aux plis de ses bottes, à la finesse de son linge.

Mais, il faut l’avouer, c’étaient toujours les mêmes cheveux et les mêmes lunettes.

Il sembla alors à Maurice, tant le serment de Geneviève l’avait rassuré, qu’il voyait pour la première fois ces cheveux et ces lunettes sous leur véritable jour.

— Du diable, se dit Maurice en allant à sa rencontre, du diable si jamais maintenant je suis jaloux de toi, excellent citoyen Morand ! Mets, si tu veux, tous les jours ton habit gorge de pigeon des décadis, et fais-toi faire pour les décadis un habit de drap d’or. À compter d’aujourd’hui, je promets de ne plus voir que tes cheveux et tes lunettes,