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LE CHEVALIER DE MAISON-ROUGE.

un vermillon nouveau colora son visage. Ses yeux desséchés s’humectèrent, et un profond soupir dilata sa poitrine ; puis, oubliant tout à coup sa maladie et la faiblesse qui en était la suite, il sauta hors de son lit.

— Mes habits ! s’écria-t-il à l’officieux stupéfait ; mes habits, mon cher Agésilas ! Ah ! mon pauvre Lorin, mon bon Lorin, je l’attendais tous les jours, mais, en vérité, je ne l’espérais pas. Çà, une culotte blanche, une chemise à jabot ; qu’on me coiffe et qu’on me rase sur-le-champ !

L’officieux se hâta d’exécuter les ordres de Maurice, le coiffa et le rasa en un tour de main.

— Oh ! la revoir ! la revoir ! s’écria le jeune homme, Lorin, en vérité, je n’ai pas su jusqu’à présent ce que c’était que le bonheur.

— Mon pauvre Maurice, dit Lorin, je crois que tu as besoin de la visite que je te conseillais.

— Oh ! cher ami, s’écria Maurice, pardonne-moi ; mais, en vérité, je n’ai plus ma raison.

— Alors je t’offre la mienne, dit Lorin en riant de cet affreux calembour.

Ce qu’il y eut de plus étonnant, c’est que Maurice en rit aussi.

Le bonheur l’avait rendu facile en matière d’esprit. Ce ne fut point tout.

— Tiens, dit-il en coupant un oranger couvert de fleurs, offre de ma part ce bouquet à la digne veuve de Mausole.

— À la bonne heure ! s’écria Lorin, voilà de la belle galanterie ! Aussi, je te pardonne. Et puis, il me semble que décidément tu es bien amoureux, et j’ai toujours eu le plus profond respect pour les grandes infortunes.

— Eh bien, oui, je suis amoureux, s’écria Maurice, dont le cœur éclatait de joie ; je suis amoureux, et maintenant je puis l’avouer puisqu’elle m’aime ; car, puisqu’elle me rappelle, c’est qu’elle m’aime, n’est-ce pas, Lorin ?

— Sans doute, répondit complaisamment l’adorateur de la déesse Raison ; mais prends garde, Maurice ; la façon dont tu prends la chose fait peur…

Souvent l’amour d’une Égérie
N’est rien moins qu’une trahison
Du tyran nommé Cupidon :
Près de la plus sage on s’oublie.
Aime ainsi que moi la Raison,
Tu ne feras pas de folie.

— Bravo ! bravo ! cria Maurice en battant des mains. Et, prenant ses jambes à son cou, il descendit les escaliers, quatre à quatre, gagna le quai, et s’élança dans la direction si connue de la vieille rue Saint-Jacques.

— Je crois qu’il m’a applaudi, Agésilas ? demanda Lorin.

— Oui, certainement, citoyen, et il n’y a rien d’étonnant, car c’était bien joli, ce que vous avez dit là.

— Alors, il est plus malade que je ne croyais, dit Lorin.

Et, à son tour, il descendit l’escalier, mais d’un pas plus calme. Arthémise n’était pas Geneviève.

À peine Lorin fut-il dans la rue Saint-Honoré, lui et son oranger en fleurs, qu’une foule de jeunes citoyens, auxquels il avait pris, selon la disposition d’esprit où il se trouvait, l’habitude de distribuer des décimes ou des coups de pied au-dessous de la carmagnole, le suivirent respectueusement, le prenant sans doute pour un de ces hommes vertueux, auxquels Saint-Just avait proposé que l’on offrît un habit blanc et un bouquet de fleurs d’oranger.

Comme le cortège allait sans cesse grossissant, tant, même à cette époque, un homme vertueux était chose rare à voir, il y avait bien plusieurs milliers de jeunes citoyens, lorsque le bouquet fut offert à Arthémise ; hommage dont plusieurs autres Raisons, qui se mettaient sur les rangs, furent malades jusqu’à la migraine.

Ce fut ce soir-là même que se répandit dans Paris la fameuse cantate :

Vive la déesse Raison !
Flamme pure, douce lumière.

Et, comme elle est parvenue jusqu’à nous sans nom d’auteur, ce qui a fort exercé la sagacité des archéologues révolutionnaires, nous aurions presque l’audace d’affirmer qu’elle fut faite pour la belle Arthémise par notre ami Hyacinthe Lorin.