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LE CHEVALIER DE MAISON-ROUGE.

égaré, mais que toutes les convenances sociales m’empêchent de revoir. »

« Adieu pour toujours.
« Geneviève. »
« P.-S. Le porteur attend la réponse. »

Maurice appela : le valet de chambre reparut.

— Qui a apporté cette lettre ?

— Un citoyen commissionnaire.

— Est-il là ?

— Oui.

Maurice ne soupira point, n’hésita point. Il sauta à bas de son lit, passa un pantalon à pieds, s’assit devant son pupitre, prit la première feuille de papier venue (il se trouva que c’était un papier avec en-tête imprimée au nom de la section), et écrivit :


« Citoyen Dixmer,

« Je vous aimais, je vous aime encore, mais je ne puis plus vous voir. »


Maurice chercha la cause pour laquelle il ne pouvait plus voir le citoyen Dixmer, et une seule se présenta à son esprit, ce fut celle qui, à cette époque, se serait présentée à l’esprit de tout le monde. Il continua donc :


« Certains bruits courent sur votre tiédeur pour la chose publique. Je ne veux point vous accuser et n’ai point de vous mission de vous défendre. Recevez mes regrets et soyez persuadé que vos secrets demeurent ensevelis dans mon cœur. »


Maurice ne relut pas même cette lettre, qu’il avait écrite, comme nous l’avons dit, sous l’impression de la première idée qui s’était présentée à lui. Il n’y avait pas de doute sur l’effet qu’elle devait produire. Dixmer, excellent patriote, comme Maurice avait pu le voir à ses discours du moins, Dixmer se fâcherait en la recevant : sa femme et le citoyen Morand l’engageraient sans doute à persévérer, il ne répondrait même pas, et l’oubli viendrait comme un voile noir s’étendre sur le passé riant, pour le transformer en avenir lugubre. Maurice signa, cacheta la lettre, la passa à son officieux, et le commissionnaire partit.

Alors un faible soupir s’échappa du cœur du républicain ; il prit ses gants, son chapeau et se rendit à la section.

Il espérait, pauvre Brutus, retrouver son stoïcisme en face des affaires publiques.

Les affaires publiques étaient terribles : le 31 mai se préparait. La Terreur qui, pareille à un torrent, se précipitait du haut de la Montagne, essayait d’emporter cette digue qu’essayaient de lui opposer les girondins, ces audacieux modérés, qui avaient osé demander vengeance des massacres de septembre et lutter un instant pour sauver la vie du roi.

Tandis que Maurice travaillait avec tant d’ardeur, que la fièvre qu’il voulait chasser dévorait sa tête au lieu de son cœur, le messager rentrait dans la vieille rue Saint-Jacques et emplissait le logis de stupéfaction et d’épouvante.

La lettre, après avoir passé sous les yeux de Geneviève, fut remise à Dixmer.

Dixmer l’ouvrit et la lut sans y rien comprendre d’abord ; puis il la communiqua au citoyen Morand, qui laissa retomber sur sa main son front blanc comme l’ivoire.

Dans la situation où se trouvaient Dixmer, Morand et ses compagnons, situation parfaitement inconnue à Maurice, mais que nos lecteurs ont pénétrée, cette lettre était, en effet, un coup de foudre.

— Est-il honnête homme ? demanda Dixmer avec angoisse.

— Oui, répondit sans hésitation Morand.

— N’importe ! reprit celui qui avait été pour les moyens extrêmes, nous avons, vous le voyez bien mal fait de ne pas le tuer.

— Mon ami, dit Morand, nous luttons contre la violence ; nous la flétrissons du nom de crime. Nous avons bien fait, quelque chose qui puisse en résulter, de ne point assassiner un homme ; puis, je le répète, je crois Maurice un cœur noble et honnête.

— Oui, mais si ce cœur noble et honnête est celui d’un républicain exalté, peut-être lui-même regarderait-il comme un crime, s’il a surpris quelque chose, de ne pas immoler son propre honneur, comme ils disent, sur l’autel de la patrie.

— Mais, dit Morand, croyez-vous qu’il sache quelque chose ?

— Eh ! n’entendez-vous point ? Il parle de secrets qui resteront ensevelis dans son cœur.

— Ces secrets sont évidemment ceux qui lui ont été confiés par moi, relativement à notre contrebande ; il n’en connaît pas d’autres.

— Mais, dit Morand, de cette entrevue d’Auteuil n’a-t-il rien soupçonné ? Vous savez qu’il accompagnait votre femme ?

— C’est moi-même qui ai dit à Geneviève de prendre Maurice avec elle pour la sauvegarder.

— Écoutez, dit Morand, nous verrons bien si ces soupçons sont vrais. Le tour de garde de notre bataillon arrive au Temple le 2 juin, c’est-à-dire dans huit jours ; vous êtes capitaine, Dixmer, et moi, je suis lieutenant : si notre bataillon ou notre compagnie même reçoit contrordre, comme l’a reçu l’autre jour le bataillon de la Butte-des-Moulins, que Santerre a remplacé par celui des Gravilliers, tout est découvert, et nous n’avons plus qu’à fuir Paris ou à mourir en combattant. Mais si tout suit le cours des choses…

— Nous sommes perdus de la même façon, répliqua Dixmer.

— Pourquoi cela ?

— Pardieu ! tout ne roulait-il pas sur la coopéra-