Page:Dumas - Le Chevalier de Maison-Rouge, 1853.djvu/232

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
204
LE CHEVALIER DE MAISON-ROUGE.

CHAPITRE LI

lorin



S i pour la seconde fois le lecteur veut nous suivre au tribunal révolutionnaire, nous retrouverons Maurice à la même place où nous l’avons déjà vu ; seulement, nous le retrouverons plus pâle et plus agité.

Au moment où nous rouvrons la scène sur ce lugubre théâtre où nous entraînent les événements bien plus que notre prédilection, les jurés sont aux opinions, car une cause vient d’être entendue : deux accusés qui ont déjà, par une de ces insolentes précautions avec lesquelles on raillait les juges à cette époque, fait leur toilette pour l’échafaud, s’entretiennent avec leurs défenseurs, dont les paroles vagues ressemblent à celles d’un médecin qui désespère de son malade.

Le peuple des tribunes était, ce jour-là, d’une féroce humeur, de cette humeur qui excite la sévérité des jurés : placés sous la surveillance immédiate des tricoteuses et des faubouriens, les jurés se tiennent mieux, comme l’acteur qui redouble d’énergie devant un public mal disposé.

Aussi, depuis dix heures du matin, cinq prévenus ont-ils déjà été changés en autant de condamnés par ces mêmes jurés rendus intraitables.

Les deux qui se trouvaient alors sur le banc des accusés, attendaient donc en ce moment le oui ou le non qui devait, ou les rendre à la vie, ou les jeter à la mort.

Le peuple des assistants, rendu féroce par l’habitude de cette tragédie quotidienne devenue son spectacle favori ; le peuple des assistants, disons-nous, les préparait par des interjections à ce moment redoutable.

— Tiens, tiens, tiens ! regarde donc le grand ! disait une tricoteuse qui, n’ayant pas de bonnet, portait à son chignon une cocarde tricolore large comme la main ; tiens, qu’il est pâle ! on dirait qu’il est déjà mort !

Le condamné regarda la femme qui l’apostrophait avec un sourire de mépris.

— Que dis-tu donc ? reprit la voisine. Le voilà qui rit.

— Oui, du bout des dents. Un faubourien regarda sa montre.

— Quelle heure est-il ? lui demanda son compagnon.

— Une heure moins dix minutes ; voilà trois quarts d’heure que ça dure.

— Juste comme à Domfront, ville de malheur : arrivé à midi, pendu à une heure.

— Et le petit, et le petit ! cria un autre assistant ; regarde-le donc, sera-t-il laid quand il éternuera dans le sac !

— Bah ! c’est trop tôt fait, tu n’auras pas le temps de t’en apercevoir.

— Tiens, on redemandera sa tête à M. Sanson ; on a le droit de la voir.

— Regarde donc comme il a un bel habit bleu tyran ; c’est un peu agréable pour les pauvres quand on raccourcit les gens bien vêtus.

En effet, comme l’avait dit l’exécuteur à la reine, les pauvres héritaient des dépouilles de chaque victime, ces dépouilles étant portées à la Salpêtrière, aussitôt après l’exécution, pour être distribuées aux indigents : c’est là qu’avaient été envoyés les habits de la reine suppliciée.

Maurice écoutait tourbillonner ces paroles sans y prendre garde ; chacun dans ce moment était préoccupé de quelque puissante pensée qui l’isolait ; depuis quelques jours, son cœur ne battait plus qu’à certains moments et par secousses ; de temps en temps, la crainte ou l’espérance semblait suspendre la marche de sa vie, et ces oscillations perpétuelles avaient comme brisé la sensibilité dans son cœur, pour y substituer l’atonie.

Les jurés rentrèrent en séance, et, comme on s’y attendait, le président prononça la condamnation des deux prévenus. On les emmena, ils sortirent d’un pas ferme ; tout le monde mourait bien à cette époque. La voix de l’huissier retentit lugubre et sinistre.

— Le citoyen accusateur public contre la citoyenne Geneviève Dixmer.

Maurice frissonna de tout son corps, et une sueur moite perla par tout son visage. La petite porte par laquelle entraient les accusés s’ouvrit, et Geneviève parut.

Elle était vêtue de blanc ; ses cheveux étaient arrangés avec une charmante coquetterie, car elle les