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LE CHEVALIER DE MAISON-ROUGE.

jeune et beau, et, à chaque secousse plus vive que lui imprimait la foule, il secouait comme une crinière son épaisse chevelure, sous laquelle brillait un regard sombre et résolu. Puis, lorsque, du regard et du mouvement, il avait repoussé la foule, dont il arrêtait, môle vivant, les opiniâtres attaques, il retombait dans son attentive immobilité.

Cent fois la masse compacte avait essayé de le renverser, car il était de haute taille, et derrière lui toute perspective devenait impossible ; mais, comme nous l’avons dit, un rocher n’eût pas été plus inébranlable que lui.

Cependant, de l’autre extrémité de cette mer humaine, au milieu de la foule pressée, un autre homme s’était frayé un passage avec une persévérance qui tenait de la férocité ; rien ne l’avait arrêté dans son infatigable progression, ni les coups de ceux qu’il laissait derrière lui, ni les imprécations de ceux qu’il étouffait en passant, ni les plaintes des femmes, car il y avait beaucoup de femmes dans cette foule.

Aux coups il répondait par des coups, aux imprécations par un regard devant lequel reculaient les plus braves, aux plaintes par une impassibilité qui ressemblait à du dédain.

Enfin, il arriva derrière le vigoureux jeune homme qui fermait, pour ainsi dire, l’entrée de la salle. Et au milieu de l’attente générale, car chacun voulait voir comment la chose se passerait entre ces deux rudes antagonistes ; et au milieu, disons-nous, de l’attente générale, il essaya de sa méthode, qui consistait à introduire entre deux spectateurs ses coudes comme des coins et à fendre avec son corps les corps les plus soudés les uns aux autres.

C’était pourtant, celui-là, un jeune homme de petite taille, dont le visage pâle et les membres grêles annonçaient une constitution aussi chétive que ses yeux ardents renfermaient de volonté.

Mais à peine son coude eut-il effleuré les flancs du jeune homme placé devant lui, que celui-ci, étonné de l’agression, se retourna vivement et du même mouvement leva un poing qui menaçait, en s’abaissant, d’écraser le téméraire.

Les deux antagonistes se trouvèrent alors face à face, et un petit cri leur échappa en même temps.

Ils venaient de se reconnaître.

— Ah ! citoyen Maurice, dit le frêle jeune homme avec un accent d’inexprimable douleur, laissez-moi passer : laissez-moi voir ; je vous en supplie ! vous me tuerez après !

Maurice, car c’était effectivement lui, se sentit pénétré d’attendrissement et d’admiration pour cet éternel dévouement, pour cette indestructible volonté.

— Vous ! murmura-t-il ; vous ici, imprudent !

— Oui, moi ici ! mais je suis épuisé…. Oh ! mon Dieu ! elle parle ! laissez-moi la voir ! laissez-moi l’écouter !

Maurice s’effaça, et le jeune homme passa devant lui. Alors, comme Maurice était à la tête de la foule, rien ne gêna plus la vue de celui qui avait souffert tant de coups et de rebuffades pour arriver là.

Toute cette scène et les murmures qu’elle occasionna éveillèrent la curiosité des juges.

L’accusée aussi regarda de ce côté ; alors, au premier rang, elle aperçut et reconnut le chevalier.

Quelque chose comme un frisson agita un moment la reine assise dans le fauteuil de fer.

L’interrogatoire, dirigé par le président Harmand, interprété par Fouquier-Tinville, et, discuté par Chauveau-Lagarde, défenseur de la reine, dura tant que le permirent les forces des juges et de l’accusée.

Pendant tout ce temps, Maurice resta immobile à sa place, tandis que plusieurs fois déjà les spectateurs s’étaient renouvelés dans la salle et dans les corridors.

Le chevalier avait trouvé un appui contre une colonne, et il était là non moins pâle que le stuc contre lequel il se tenait adossé.

Au jour avait succédé la nuit opaque : quelques bougies allumées sur les tables des jurés, quelques lampes qui fumaient aux parois de la salle, éclairaient d’un sinistre et rouge reflet le noble visage de cette femme, qui avait paru si belle aux splendides lumières des fêtes de Versailles.

Elle était là seule, répondant quelques brèves et dédaigneuses paroles aux interrogatoires du président, et se penchant parfois à l’oreille de son défenseur pour lui parler bas.

Son front blanc et poli n’avait rien perdu de sa fierté ordinaire ; elle portait la robe à raies noires que, depuis la mort du roi, elle n’avait pas voulu quitter.

Les juges se levèrent pour aller aux opinions ; la séance était finie.

— Me suis-je donc montrée trop dédaigneuse, monsieur ? demanda-t-elle à Chauveau-Lagarde.

— Ah ! madame, répondit celui-ci, vous serez toujours bien quand vous serez vous-même.

— Vois donc comme elle est fière ! s’écria une femme dans l’auditoire, comme si une voix répondait à la question que la malheureuse reine venait de faire à son avocat.

La reine tourna la tête vers cette femme.

— Eh bien, oui, répéta la femme, je dis que tu es fière, Antoinette, et que c’est ta fierté qui t’a perdue.

La reine rougit.

Le chevalier se tourna vers la femme qui avait prononcé ces paroles, et répliqua doucement :

— Elle était reine.

Maurice lui saisit le poignet.

— Allons, lui dit-il tout bas, ayez le courage de ne pas vous perdre.

— Oh ! monsieur Maurice, répliqua le chevalier,