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Depuis ce temps, on ne pouvait plus l’arracher à cet exercice, qu’il continuait de prendre, comme on l’a vu, même les dimanches et les jours de fête ; seulement, quand tout le bois était monté de la cave au grenier, il le redescendait du grenier à la cave, et vice versa.

Il y avait un an qu’il faisait ce métier, le côté splénétique de sa folie avait complètement disparu ; il était redevenu, sinon gras, du moins fort, car sa santé physique était parfaitement rétablie, grâce au travail assidu qu’il faisait. Dans quelques jours, le baron se proposait d’attaquer la partie morale, en lui disant qu’on était à la recherche de papiers qui pourraient bien prouver que l’accusation de substitution dont il était victime était fausse. Mais si bien guéri que son pensionnaire dût jamais être, le baron Pisani nous assura qu’il ne le laisserait sortir que sous la promesse formelle que, quelque part qu’il fût, il monterait tous les jours de la cave au grenier ou descendrait tous les jours du grenier à la cave douze charges de bois, pas une de plus, pas une de moins.

Comme tous les fous étaient dans le jardin, à l’exception de trois ou quatre qu’on n’osait laisser communiquer avec les autres parce qu’ils étaient atteints de folie furieuse, le baron nous conduisit voir d’abord l’établissement avant de nous montrer ceux qui l’habitaient. Chaque malade avait une cellule, enjolivée ou attristée selon son caprice. L’un, qui se prétendait fils du roi de la Chine, avait une quantité d’étendards de soie, chargés de dragons et de serpens de toutes les formes peints dessus, avec toutes sortes d’ornemens impériaux en papier doré. Sa folie était douce et gaie, et le baron Pisani espérait le guérir en lui faisant lire un jour sur une gazette que son père venait d’être détrôné, et avait renoncé à la couronne pour lui et sa postérité. L’autre, dont la folie était de se croire mort, avait un lit en forme de bière, dont il ne sortait que drapé en fantôme ; sa chambre était toute tendue de crêpe noir avec des larmes d’argent. Nous demandâmes au baron comment il comptait guérir celui-là. — Rien de plus facile, nous répondit-il ; j’avancerai le jugement dernier de trois ou quatre mille ans. Une nuit, je l’éveillerai au son de la trompette, et je ferai entrer un ange qui lui ordonnera de se lever de la part de Dieu.