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— Pas tous, car voilà Gaëtano qui se noie.

— Allons, allons, ne t’occupe pas des autres, chacun pour soi, frère.

— Alors pourquoi ne me laisses-tu pas là ?

— Parce que toi, c’est moi.

— Taisez-vous donc, dit le pilote, vous vous exténuez.

Il avait dit vrai. Le pauvre Baptiste ! il ne pouvait plus aller ; il me pesait comme un plomb, de sorte que je n’allais plus guère non plus, moi. Cependant la barque avançait toujours ; nous voyions déjà les gens qui étaient dedans, nous entendions leurs cris, mais Nunzio seul leur répondait. On aurait dit qu’il avait des nageoires, quoi ! le vieux chien de mer ; il ne se fatiguait pas. Quant à Baptiste, c’était autre chose ; il avait les yeux à moitié fermés, et je sentais son bras qui se raidissait autour de mon cou ; je commençais moi-même à siffler en respirant. — Pilote, que je dis, si je n’arrive pas jusqu’à la barque, vous, ferez dire des messes pour moi, n’est ce pas ? Je n’avais pas achevé, que je sens que mon frère entre dans l’agonie. — À moi, pilote ! à... Va te promener ! j’avais de l’eau par dessus la tête. Vous savez, on boit trois bouillons avant d’aller au fond tout à fait. — Bon, que je dis, j’en ai encore deux à consommer. Effectivement, je revins sur l’eau. J’avais le soleil en face des yeux et il me semblait tout rouge ; je voyais la barque dans un brouillard, je ne savais plus si elle était près ou si elle était loin ; je voulais parler, appeler : oui, c’est comme si j’avais eu le cauchemar. Si ce n’avait été Baptiste, j’aurais peut-être encore pu me retourner sur le dos ; mais avec lui, impossible, je sentais qu’il m’entraînait, que j’enfonçais. — Bon, je dis, voilà mon second bouillon, je n’en ai plus qu’un ; enfin je rassemble toutes mes forces, je reviens sur l’eau, le soleil était noir. Ah ! vous ne vous êtes jamais noyé, vous ?

— Non. Continuez, Pietro.

— Que diable voulez-vous que je continue ? je ne sais plus rien. Je ne connaissais plus mon frère, qui me tenait au col ; je sentais que je roulais avec une chose qui m’entraînait au fond, avec une chose qui me noyait, et je voulais me débarrasser de cette chose. Je ne sais comment je fis, mais, Dieu me pardonne ! j’y réussis. Alors j’eus un moment