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vulgaire, ce grand chemin des gens médiocres, et qui les mène à tout.

Comment serait-il possible, se disait Cornélius, que je susse m’enfuir de Lœvestein, d’où s’enfuit jadis M. de Grotius ? Depuis cette évasion, n’a-t-on pas tout prévu ? Les fenêtres ne sont-elles pas gardées ? les portes ne sont-elles pas doubles ou triples ? Les postes ne sont-ils pas dix fois plus vigilants ?

Puis outre les fenêtres gardées, les portes doubles, les postes plus vigilants que jamais, n’ai-je pas un argus infaillible ? un argus d’autant plus dangereux qu’il a les yeux de la haine, Gryphus ?

Enfin n’est-il pas une circonstance qui me paralyse ? L’absence de Rosa. Quand j’userais dix ans de ma vie à fabriquer une lime pour scier mes barreaux, à tresser des cordes pour descendre par la fenêtre, ou me coller des ailes aux épaules pour m’envoler comme Dédale… Mais je suis dans une période de mauvaise chance ! La lime s’émoussera, la corde se rompra, mes ailes fondront au soleil. Je me tuerai mal. On me ramassera boiteux, manchot, cul-de-jatte. On me classera dans le musée de la Haye, entre le pourpoint taché de sang de Guillaume le Taciturne et la femme marine recueillie à Stavesen, et mon entreprise n’aura eu pour résultat que de me procurer l’honneur de faire partie des curiosités de la Hollande.

Mais non, et cela vaut mieux, un beau jour Gryphus me fera quelque noirceur. Je perds la patience depuis que j’ai perdu la joie et la société de Rosa, et surtout depuis que j’ai perdu mes tulipes. Il n’y a pas à en douter, un jour ou l’autre Gryphus m’attaquera d’une façon sensible à mon amour-propre, à mon amour ou à ma sûreté person-