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venue me demander à Leyde le changement de votre père.

Rosa baissa la tête et s’affaissa écrasée en murmurant :

— Oui, monseigneur.

— Poursuivez, dit le prince à Boxtel.

— Je n’ai rien à dire, continua celui-ci, Votre Altesse sait tout. Maintenant, voici ce que je ne voulais pas dire, pour ne pas faire rougir cette fille de son ingratitude. Je suis venu à Lœvestein parce que mes affaires m’y appelaient ; j’y ai fait connaissance avec le vieux Gryphus, je suis devenu amoureux de sa fille, je l’ai demandée en mariage, et comme je n’étais pas riche, imprudent que j’étais, je lui ai confié mon espérance de toucher cent mille florins ; et pour justifier cette espérance, je lui ai montré la tulipe noire. Alors, comme son amant, à Dordrecht, pour faire prendre le change sur les complots qu’il tramait, affectait de cultiver des tulipes, tous deux ont comploté ma perte.

La veille de la floraison de la fleur, la tulipe a été enlevée de chez moi par cette jeune fille, portée dans sa chambre, où j’ai eu le bonheur de la reprendre au moment où elle avait l’audace d’expédier un messager pour annoncer à MM. les membres de la Société d’horticulture qu’elle venait de trouver la grande tulipe noire ; mais elle ne s’est pas démontée pour cela. Sans doute pendant les quelques heures qu’elle l’a gardée dans sa chambre, l’aura-t-elle montrée à quelques personnes qu’elle appellera en témoignage ? Mais heureusement, monseigneur, vous voilà prévenu contre cette intrigue et ses témoins.

— Oh ! mon Dieu ! mon Dieu ! l’infâme ! gémit Rosa en larmes, en se jetant aux pieds du stathouder, qui, tout en la croyant coupable, prenait en pitié son horrible angoisse.

— Vous avez mal agi, jeune fille, dit-il, et votre amant