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d’œuvre de la création que l’on appellerait, comme la chose était arrêtée d’avance, Rosa Barlænsis, la vie, bien mieux que la vie, le bonheur de cet homme dépendait du plus simple caprice d’un autre homme, et cet homme c’était un être d’un esprit inférieur, d’une caste infime ; c’était un geôlier, quelque chose de moins intelligent que la serrure qu’il fermait, de plus dur que le verrou qu’il tirait. C’était quelque chose du Caliban de la Tempête, un passage entre l’homme et la brute.

Eh bien, le bonheur de Cornélius dépendait de cet homme ; cet homme pouvait un beau matin s’ennuyer à Loewestein, trouver que l’air y était mauvais, que le genièvre n’y était pas bon, et quitter la forteresse et emmener sa fille, — et encore une fois Cornélius et Rosa étaient séparés. Dieu, qui se lasse de faire trop pour ses créatures, finirait peut-être alors par ne plus les réunir.

— Et alors à quoi bon les pigeons voyageurs, disait Cornélius à la jeune fille ; puisque, chère Rosa, vous ne saurez ni lire ce que je vous écrirai, ni m’écrire ce que vous aurez pensé ?

— Eh bien, répondait Rosa, qui au fond du cœur craignait la séparation autant que Cornélius, nous avons une heure tous les soirs, employons-la bien.

— Mais il me semble, reprit Cornélius, que nous ne l’employons pas mal.

— Employons-la mieux encore, dit Rosa en souriant. Montrez-moi à lire et à écrire ; je profiterai de vos leçons, croyez-moi, et de cette façon nous ne serons plus jamais séparés que par notre volonté à nous-mêmes.

— Oh ! alors, s’écria Cornélius, nous avons l’éternité devant nous.