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LA REINE MARGOT.

vous la convoitez ; le roi Henri vous y pousse. De Mouy conspire avec vous, n’est-ce pas ? Mais le duc d’Alençon, que fait-il dans toute cette affaire ? Où y a-t-il un trône pour lui dans tout cela ? Je n’en vois point. Or, le duc d’Alençon est-il assez votre… ami pour vous aider dans tout cela, et sans rien exiger en échange du danger qu’il court ?

— Le duc, ami, conspire pour son compte. Laissons-le s’égarer : sa vie nous répond de la nôtre.

— Mais moi, moi qui suis à lui, puis-je le trahir ?

— Le trahir ! et en quoi le trahirez-vous ? Que vous a-t-il confié ? N’est-ce pas lui qui vous a trahi en donnant à de Mouy votre manteau et votre chapeau comme un moyen de pénétrer jusqu’à lui ? Vous êtes à lui, dites-vous ! N’étiez-vous pas à moi, mon gentilhomme, avant d’être à lui ? Vous a-t-il donné une plus grande preuve d’amitié que la preuve d’amour que vous tenez de moi ?

La Mole se releva pâle et comme foudroyé.

— Oh ! murmura-t-il, Coconnas me le disait bien. L’intrigue m’enveloppe dans ses replis. Elle m’étouffera.

— Eh bien ? demanda Marguerite.

— Eh bien ! dit La Mole, voici ma réponse : On prétend, et je l’ai entendu dire à l’autre extrémité de la France, où votre nom si illustre, votre réputation de beauté si universelle m’étaient venus, comme un vague désir de l’inconnu, effleurer le cœur ; on prétend que vous avez aimé quelquefois, et que votre amour a toujours été fatal aux objets de votre amour, si bien que la mort, jalouse sans doute, vous a presque toujours enlevé vos amants.

— La Mole !…

— Ne m’interrompez pas, ô ma Margarita chérie, car on ajoute aussi que vous conservez dans des boîtes d’or les cœurs de ces fidèles amis[1], et que parfois vous donnez à ces tristes restes un souvenir mélancolique, un regard pieux. Vous soupirez, ma reine, vos yeux se voilent ; c’est vrai.

  1. Elle portait un grand vertugadin qui avait des pochettes tout autour, en chacune desquelles elle mettait une boîte où était le cœur d’un de ses amants trépassés ; car elle était soigneuse, à mesure qu’ils mouraient, d’en faire embaumer le cœur. Ce vertugadin se pendait tous les soirs à un crochet qui fermait à cadenas derrière le dossier de son lit. (Tallemant des Réaux, Histoire de Marguerite de Valois.)