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LA REINE MARGOT.

— Moi aussi, je crois. Mais, ajouta-t-il avec un singulier sourire, comme ce n’est pas l’habitude des gens qui ont affaire à moi d’être reconnaissants, cela ne m’étonnerait point qu’une fois sur ses pieds il oubliât ou plutôt ne se souciât point de se souvenir de moi.

— Bon ! bon ! dit La Mole en souriant à son tour ; en ce cas je serai là pour lui en rafraîchir la mémoire.

— Allons, soit ! dans deux heures vous aurez la potion.

— Au revoir.

— Vous dites ?

— Au revoir.

L’homme sourit.

— Moi, reprit-il, j’ai l’habitude de dire toujours adieu. Adieu donc, monsieur de La Mole ; dans deux heures vous aurez votre potion. Vous entendez, elle doit être prise à minuit… en trois doses… d’heure en heure.

Sur quoi il sortit, et La Mole resta seul avec Coconnas.

Coconnas avait entendu toute cette conversation, mais n’y avait rien compris : un vain bruit de paroles, un vain cliquetis de mots étaient arrivés jusqu’à lui. De tout cet entretien, il n’avait retenu que le mot : Minuit.

Il continua donc de suivre de son regard ardent La Mole, qui continua, lui, de demeurer dans la chambre, rêvant et se promenant.

Le docteur inconnu tint parole, et à l’heure dite envoya la potion, que La Mole mit sur un petit réchaud d’argent. Puis, cette précaution prise, il se coucha.

Cette action de La Mole donna un peu de repos à Coconnas ; il essaya de fermer les yeux à son tour, mais son assoupissement fiévreux n’était qu’une suite de sa veille délirante. Le même fantôme qui le poursuivait le jour venait le relancer la nuit ; à travers ses paupières arides, il continuait de voir La Mole toujours menaçant, puis une voix répétait à son oreille : Minuit ! minuit ! minuit !

Tout à coup le timbre vibrant de l’horloge s’éveilla dans la nuit et frappa douze fois. Coconnas rouvrit ses yeux enflammés ; le souffle ardent de sa poitrine dévorait ses lèvres arides ; une soif inextinguible consumait son gosier embrasé ; la petite lampe de nuit brûlait comme d’habitude, et à sa terne lueur faisait danser mille fantômes aux regards vacillants de Coconnas.