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LA REINE MARGOT.

Elle fit de la tête un geste ironique comme lorsqu’on prend congé d’un ami, et, reprenant la tête de colonne, elle revint gagner le chemin, tandis que le cortège défilait devant le cadavre de Coligny.

Le soleil se couchait à l’horizon.

La foule s’écoula sur les pas de Leurs Majestés pour jouir jusqu’au bout des magnificences du cortège et des détails du spectacle : les voleurs suivirent la foule ; de sorte que, dix minutes après le départ du roi, il n’y avait plus personne autour du cadavre mutilé de l’amiral, que commençaient à effleurer les premières brises du soir.

Quand nous disons personne, nous nous trompons. Un gentilhomme monté sur un cheval noir, et qui n’avait pu sans doute, au moment où il était honoré de la présence des princes, contempler à son aise ce tronc informe et noirci, était demeuré le dernier, et s’amusait à examiner dans tous leurs détails chaînes, crampons, piliers de pierre, le gibet enfin, qui lui paraissait sans doute, à lui arrivé depuis quelques jours à Paris et ignorant des perfectionnements qu’apporte en toute chose la capitale, le parangon de tout ce que l’homme peut inventer de plus terriblement laid.

Il n’est pas besoin de dire à nos lecteurs que cet homme était notre ami Coconnas. Un œil exercé de femme l’avait en vain cherché dans la cavalcade et avait sondé les rangs sans pouvoir le retrouver.

M. de Coconnas, comme nous l’avons dit, était donc en extase devant l’œuvre d’Enguerrand de Marigny.

Mais cette femme n’était pas seule à chercher M. de Coconnas. Un autre gentilhomme, remarquable par son pourpoint de satin blanc et sa galante plume, après avoir regardé en avant et sur les côtés, s’avisa de regarder en arrière et vit la haute taille de Coconnas et la gigantesque silhouette de son cheval se profiler en vigueur sur le ciel rougi des derniers reflets du soleil couchant.

Alors le gentilhomme au pourpoint de satin blanc quitta le chemin suivi par l’ensemble de la troupe, prit un petit sentier, et, décrivant une courbe, retourna vers le gibet.

Presque aussitôt la dame que nous avons reconnue pour la duchesse de Nevers, comme nous avons reconnu le grand gentilhomme au cheval noir pour Coconnas, s’approcha de Marguerite et lui dit :