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LA REINE MARGOT.

l’obscurité la plus profonde, lorsque vous avez paru tout à l’heure et avez soudain tout éclairé.

— C’est un mauvais tour que je vous joue alors, Monseigneur.

— Que voulez-vous dire, ma mie ? demanda Henri.

— Je veux dire que lorsqu’on est maître de la plus belle femme de France, la seule chose qu’on doive désirer, c’est que la lumière disparaisse pour faire place à l’obscurité, car c’est dans l’obscurité que nous attend le bonheur.

— Ce bonheur, mauvaise, vous savez bien qu’il est aux mains d’une seule personne, et que cette personne se rit et se joue du pauvre Henri.

— Oh ! reprit la baronne, j’aurais cru, au contraire, moi, que c’était cette personne qui était le jouet et la risée du roi de Navarre.

Henri fut effrayé de cette attitude hostile, et cependant il réfléchit qu’elle trahissait le dépit, et que le dépit n’est que le masque de l’amour.

— En vérité, dit-il, chère Charlotte, vous me faites là un injuste reproche, et je ne comprends pas qu’une si jolie bouche soit en même temps si cruelle. Croyez-vous donc que ce soit moi qui me marie ? Eh ! non, ventre-saint-gris ! ce n’est pas moi !

— C’est moi, peut-être ! reprit aigrement la baronne, si jamais peut paraître aigre la voix de la femme qui nous aime et qui nous reproche de ne pas l’aimer.

— Avec vos beaux yeux n’avez-vous pas vu plus loin, baronne ? Non, non, ce n’est pas Henri de Navarre qui épouse Marguerite de Valois.

— Et qui est-ce donc alors ?

— Eh, sang-diou ! c’est la religion réformée qui épouse le pape, voilà tout.

— Nenni, nenni, Monseigneur, et je ne me laisse pas prendre à vos jeux d’esprit, moi : Votre Majesté aime madame Marguerite, et je ne vous en fais pas un reproche, Dieu m’en garde ! elle est assez belle pour être aimée.

Henri réfléchit un instant, et tandis qu’il réfléchissait, un fin sourire retroussa le coin de ses lèvres.

— Baronne, dit-il, vous me cherchez querelle, ce me semble, et cependant vous n’en avez pas le droit ; qu’avez-vous fait, voyons ! pour m’empêcher d’épouser madame