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LA REINE MARGOT.

naturel, et je comprends cela. Que ne l’avez-vous dit tout de suite, ou plutôt comment n’y ai-je pas songé moi-même ! C’est un devoir, quand on exerce l’hospitalité, de protéger les affections de son hôte comme on panse des blessures, et de soigner l’âme comme on soigne le corps.

— Hélas ! Madame, répondit La Mole, vous vous trompez étrangement. Je suis presque seul au monde et tout à fait seul à Paris, où personne ne me connaît. Mon assassin est le premier homme à qui j’aie parlé dans cette ville, et Votre Majesté est la première femme qui m’y ait adressé la parole.

— Alors, dit Marguerite surprise, pourquoi voulez-vous donc vous en aller ?

— Parce que, dit La Mole, la nuit passée Votre Majesté n’a pris aucun repos, et que cette nuit…

Marguerite rougit.

— Gillonne, dit-elle, voici la nuit venue, je crois qu’il est temps que tu ailles porter la clef.

Gillonne sourit et se retira.

— Mais, continua Marguerite, si vous êtes seul à Paris, sans amis, comment ferez-vous ?

— Madame, j’en aurai beaucoup ; car, tandis que j’étais poursuivi, j’ai pensé à ma mère, qui était catholique ; il m’a semblé que je la voyais glisser devant moi sur le chemin du Louvre, une croix à la main, et j’ai fait vœu, si Dieu me conservait la vie, d’embrasser la religion de ma mère. Dieu a fait plus que de me conserver la vie, Madame ; il m’a envoyé un de ses anges pour me la faire aimer.

— Mais vous ne pourrez marcher ; avant d’avoir fait cent pas vous tomberez évanoui.

— Madame, je me suis essayé aujourd’hui dans le cabinet ; je marche lentement et avec souffrance, c’est vrai ; mais que j’aille seulement jusqu’à la place du Louvre ; une fois dehors, il arrivera ce qu’il pourra.

Marguerite appuya sa tête sur sa main et réfléchit profondément.

— Et le roi de Navarre, dit-elle avec intention, vous n’en parlez plus. En changeant de religion, avez-vous donc perdu le désir d’entrer à son service ?

— Madame, répondit La Mole en pâlissant, vous venez toucher à la véritable cause de mon départ… Je sais que le roi de Navarre court les plus grands dangers et que tout