Page:Dumas - La Reine Margot (1886).djvu/122

Cette page a été validée par deux contributeurs.
114
LA REINE MARGOT.

bien plutôt à une statue de marbre de Paros qu’au corps mutilé d’un homme expirant.

— Pauvre jeune homme, murmura Gillonne en regardant non pas tant son ouvrage que celui qui venait d’en être l’objet.

— N’est-ce pas qu’il est beau ? dit Marguerite avec une franchise toute royale.

— Oui, Madame. Mais il me semble qu’au lieu de le laisser ainsi couché à terre nous devrions le soulever et l’étendre sur le lit de repos contre lequel il est seulement appuyé.

— Oui, dit Marguerite, tu as raison.

Et les deux femmes, s’inclinant et réunissant leurs forces, soulevèrent La Mole et le déposèrent sur une espèce de grand sofa à dossier sculpté qui s’étendait devant la fenêtre, qu’elles entr’ouvrirent pour lui donner de l’air.

Le mouvement réveilla La Mole, qui poussa un soupir et, rouvrant les yeux, commença d’éprouver cet incroyable bien-être qui accompagne toutes les sensations du blessé, alors qu’à son retour à la vie il retrouve la fraîcheur au lieu des flammes dévorantes, et les parfums du baume au lieu de la tiède et nauséabonde odeur du sang.

Il murmura quelques mots sans suite, auxquels Marguerite répondit par un sourire en posant le doigt sur sa bouche.

En ce moment le bruit de plusieurs coups frappés à une porte retentit.

— On heurte au passage secret, dit Marguerite.

— Qui donc peut venir, Madame ? demanda Gillonne effrayée.

— Je vais voir, dit Marguerite. Toi, reste auprès de lui et ne le quitte pas d’un seul instant.

Marguerite rentra dans sa chambre, et, fermant la porte du cabinet, alla ouvrir celle du passage qui donnait chez le roi et chez la reine mère.

— Madame de Sauve ! s’écria-t-elle en reculant vivement et avec une expression qui ressemblait sinon à la terreur, du moins à la haine, tant il est vrai qu’une femme ne pardonne jamais à une autre femme de lui enlever même un homme qu’elle n’aime pas. Madame de Sauve !

— Oui, Votre Majesté ! dit celle-ci en joignant les mains.

— Ici, vous, Madame ! continua Marguerite de plus en plus étonnée, mais aussi d’une voix plus impérative.