— Ah ! ah ! ah ! fit Charles en éclatant d’un rire nerveux, vous avez deviné cela, vous, que je voulais l’éloigner ? Vous avez deviné cela, que je ne l’aimais pas ? Et quand cela serait, voyons ? Aimer mon frère ! Pourquoi donc l’aimerais-je ? Ah ! ah ! ah ! est-ce que vous voulez rire ?… Et à mesure qu’il parlait, ses joues pâles s’animaient d’une fébrile rougeur. Est-ce qu’il m’aime, lui ? Est-ce que vous m’aimez, vous ? Est-ce que, excepté mes chiens, Marie Touchet et ma nourrice, est-ce qu’il y a quelqu’un qui m’ait jamais aimé ? Non, non, je n’aime pas mon frère, je n’aime que moi, entendez-vous ! Et je n’empêche pas mon frère d’en faire autant que je fais.
— Sire, dit Catherine s’animant à son tour, puisque vous me découvrez votre cœur, il faut que je vous ouvre le mien. Vous agissez en roi faible, en monarque mal conseillé ; vous renvoyez votre second frère, le soutien naturel du trône, et qui est en tous points digne de vous succéder s’il vous advenait malheur, laissant dans ce cas votre couronne à l’abandon ; car, comme vous le disiez, d’Alençon est jeune, incapable, faible, plus que faible, lâche !… Et le Béarnais se dresse derrière, entendez-vous ?
— Eh ! mort de tous les diables ! s’écria Charles, qu’est-ce que me fait ce qui arrivera quand je n’y serai plus ? le Béarnais se dresse derrière mon frère, dites-vous ? Corbœuf ! tant mieux !… Je disais que je n’aimais personne… je me trompais, j’aime Henriot ; oui, je l’aime, ce bon Henriot : il a l’air franc, la main tiède, tandis que je ne vois autour de moi que des yeux faux et ne touche que des mains glacées. Il est incapable de trahison envers moi, j’en jurerais. D’ailleurs je lui dois un dédommagement : on lui a empoisonné sa mère, pauvre garçon ! des gens de ma famille, à ce que j’ai entendu dire. D’ailleurs je me porte bien. Mais, si je tombais malade, je l’appellerais, je ne voudrais pas qu’il me quittât, je ne prendrais rien que de sa main, et quand je mourrai je le ferai roi de France et de Navarre… Et, ventre du pape ! au lieu de rire à ma mort, comme feraient mes frères, il pleurerait ou du moins il ferait semblant de pleurer.
La foudre tombant aux pieds de Catherine l’eût moins épouvantée que ces paroles. Elle demeura atterrée, regardant Charles d’un œil hagard ; puis enfin, au bout de quelques secondes :