Page:Dumas - La Reine Margot (1886), tome 2.djvu/88

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Vous vous ferez tuer.

— Ma mère, on ne meurt pas des coups… on meurt de douleur, d’ennui. Mais Charles ne me permettra point de rester ; il me déteste.

— Il est jaloux de vous, mon beau vainqueur, c’est une chose dite ; pourquoi aussi êtes-vous si brave et si heureux ? Pourquoi, à vingt ans à peine, avez-vous gagné des batailles comme Alexandre et comme César ? Mais en attendant, ne vous découvrez à personne, feignez d’être résigné, faites votre cour au roi. Aujourd’hui même, on se réunit en conseil privé pour lire et pour discuter les discours qui seront prononcés à la cérémonie ; faites le roi de Pologne et laissez-moi le soin du reste. À propos, et votre expédition d’hier soir ?

— Elle a échoué, ma mère ; le galant était prévenu, et il a pris son vol par la fenêtre.

— Enfin, dit Catherine, je saurai un jour quel est le mauvais génie qui contrarie ainsi tous mes projets… En attendant, je m’en doute, et… malheur à lui !

— Ainsi, ma mère ?… dit le duc d’Anjou.

— Laissez-moi mener cette affaire.

Et elle baisa tendrement Henri sur les yeux en le poussant hors de son cabinet.

Bientôt arrivèrent chez la reine les princesses de sa maison. Charles était en belle humeur, car l’aplomb de sa sœur Margot l’avait plus réjoui qu’affecté ; il n’en voulait pas autrement à La Mole, et il l’avait attendu avec quelque ardeur dans le corridor parce que c’était une espèce de chasse à l’affût.

D’Alençon, tout au contraire, était très préoccupé. La répulsion qu’il avait toujours eue pour La Mole s’était changée en haine du moment où il avait su que La Mole était aimé de sa sœur.

Marguerite avait tout ensemble l’esprit rêveur et l’œil au guet. Elle avait à la fois à se souvenir et à veiller.

Les députés polonais avaient envoyé le texte des harangues qu’ils devaient prononcer.

Marguerite, à qui l’on n’avait pas plus parlé de la scène de la veille que si la scène n’avait point existé, lut les discours, et, hormis Charles, chacun discuta ce qu’il répondrait. Charles laissa Marguerite répondre comme elle l’entendrait.