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— C’est bien, c’est bien, dit Caboche en essuyant une larme avec le dos de sa main ; soyez tranquille, on fera ce que vous désirez.

— Et d’un seul coup, n’est-ce pas ? dit à voix basse le Piémontais.

— D’un seul.

— C’est bien… si vous avez à vous reprendre, reprenez-vous sur moi.

Le tombereau s’arrêta, on était arrivé. Coconnas mit son chapeau sur sa tête.

Une rumeur semblable à celle des flots de la mer bruit aux oreilles de La Mole. Il voulut se lever, mais les forces lui manquèrent ; et il fallut que Caboche et Coconnas le soutinssent sous les bras.

La place était pavée de têtes, les marches de l’hôtel de ville semblaient un amphithéâtre peuplé de spectateurs. Chaque fenêtre donnait passage à des visages animés dont les regards semblaient flamboyer.

Quand on vit le beau jeune homme qui ne pouvait plus se soutenir sur ses jambes brisées faire un effort suprême pour aller de lui-même à l’échafaud, une clameur immense s’éleva comme un cri de désolation universelle. Les hommes rugissaient, les femmes poussaient des gémissements plaintifs.

— C’était un des premiers raffinés de la cour, disaient les hommes, et ce n’était pas à Saint-Jean-en-Grève qu’il devait mourir, c’était au Pré-aux-Clercs.

— Qu’il est beau ! qu’il est pâle ! disaient les femmes : c’est celui qui n’a point parlé.

— Ami, dit La Mole, je ne puis me soutenir ! Porte-moi !

— Attends, dit Coconnas.

Il fit un signe au bourreau, qui s’écarta ; puis, se baissant, il prit La Mole dans ses bras comme il eût fait d’un enfant, et monta sans chanceler, chargé de son fardeau, l’escalier de la plate-forme, où il déposa La Mole, au milieu des cris frénétiques et des applaudissements de la foule.

Coconnas leva son chapeau de dessus sa tête, et salua.

Puis il jeta son chapeau près de lui sur l’échafaud.

— Regarde autour de nous, dit La Mole, ne les aperçois-tu pas quelque part ?

Coconnas jeta lentement un regard circulaire tout autour de la place, et, arrivé sur un point, il s’arrêta, étendant,