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Caboche fit de la tête un mouvement d’adhésion, et, arrivé en face de la rue Tizon, il s’arrêta.

La Mole se souleva avec effort, aidé par Coconnas ; regarda, l’œil voilé par une larme, cette petite maison silencieuse, muette et close comme un tombeau ; un soupir gonfla sa poitrine, et à voix basse :

— Adieu, murmura-t-il ; adieu, la jeunesse, l’amour, la vie !

Et il laissa retomber sa tête sur sa poitrine.

— Courage ! dit Coconnas, nous retrouverons peut-être tout cela là-haut.

— Crois-tu ? murmura La Mole.

— Je le crois parce que le prêtre me l’a dit, et surtout parce que je l’espère. Mais ne t’évanouis pas, mon ami ! ces misérables qui nous regardent riraient de nous.

Caboche entendit ces derniers mots ; et fouettant son cheval d’une main, il tendit de l’autre à Coconnas, et sans que personne le pût voir, une petite éponge imprégnée d’un révulsif si violent que La Mole, après l’avoir respiré et s’en être frotté les tempes, s’en trouva rafraîchi et ranimé.

— Ah ! dit La Mole, je renais.

Et il baisa le reliquaire suspendu à son cou par la chaîne d’or.

En arrivant à l’angle du quai et en tournant le charmant petit édifice bâti par Henri II, on aperçut l’échafaud se dressant comme une plate-forme nue et sanglante : cette plate-forme dominait toutes les têtes.

— Ami, dit La Mole, je voudrais bien mourir le premier.

Coconnas toucha une seconde fois de sa main l’épaule du bourreau.

— Qu’y a-t-il, mon gentilhomme ? demanda celui-ci en se retournant.

— Brave homme, dit Coconnas, tu tiens à me faire plaisir, n’est-ce pas ? tu me l’as dit, du moins.

— Oui, et je vous le répète.

— Voilà mon ami qui a plus souffert que moi, et qui, par conséquent, a moins de force…

— Eh bien ?

— Eh bien, il me dit qu’il souffrirait trop de me voir mourir le premier. D’ailleurs, si je mourais le premier, il n’aurait personne pour le porter sur l’échafaud.