paille, deux jeunes gens, la tête nue et complètement vêtus de noir, s’appuyaient l’un contre l’autre. Coconnas portait sur ses genoux La Mole, dont la tête dépassait les traverses du tombereau et dont les yeux vagues erraient çà et là.
Et cependant la foule, pour plonger son regard avide jusqu’au fond de la voiture, se pressait, se levait, se haussait, montant sur les bornes, s’accrochant aux anfractuosités des murailles, et paraissait satisfaite lorsqu’elle était parvenue à ne pas laisser vierge de son regard un seul point des deux corps qui sortaient de la souffrance pour aller à la destruction.
Il avait été dit que La Mole mourait sans avoir avoué un seul des faits qui lui étaient imputés, tandis qu’au contraire, assurait-on, Coconnas n’avait pu supporter la douleur et avait tout révélé.
Aussi criait-on de tous côtés :
— Voyez, voyez le rouge ! c’est lui qui a parlé, c’est lui qui a tout dit ; c’est un lâche qui est cause de la mort de l’autre. L’autre, au contraire, est un brave et n’a rien avoué.
Les deux jeunes gens entendaient bien, l’un les louanges, l’autre les injures, qui accompagnaient leur marche funèbre ; et tandis que La Mole serrait les mains de son ami, un sublime dédain éclatait sur la figure du Piémontais, qui, du haut du tombereau immonde, regardait la foule stupide comme il l’eût regardée d’un char triomphal.
L’infortune avait fait son œuvre céleste, elle avait ennobli la figure de Coconnas, comme la mort allait diviniser son âme.
— Sommes-nous bientôt arrivés ? demanda La Mole ; je n’en puis plus, ami, et je crois que je vais m’évanouir.
— Attends, attends, La Mole, nous allons passer devant la rue Tizon et devant la rue Cloche-Percée, regarde, regarde un peu.
— Oh ! soulève-moi, soulève-moi, que je voie encore une fois cette bienheureuse maison.
Coconnas étendit la main et toucha l’épaule du bourreau ; il était assis sur le devant du tombereau, et conduisait le cheval.
— Maître, lui dit-il, rends-nous ce service de t’arrêter un instant en face de la rue Tizon.