Page:Dumas - La Reine Margot (1886), tome 2.djvu/203

Cette page a été validée par deux contributeurs.

de Tavannes, et il gagna son appartement, où il défendit que personne le suivît.

Tout le monde remarqua qu’il semblait fort grave ; pendant toute la route il avait profondément réfléchi, n’adressant la parole à personne, et ne s’occupant plus ni de la conspiration ni des conspirateurs. Il était évident que ce qui le préoccupait c’était sa maladie.

Maladie si subite, si étrange, si aiguë, et dont quelques symptômes étaient les mêmes que les symptômes qu’on avait remarqués chez son frère François II quelque temps avant sa mort.

Aussi la défense faite à qui que ce fût, excepté maître Paré, d’entrer chez le roi, n’étonna-t-elle personne. La misanthropie, on le savait, était le fond du caractère du prince.

Charles entra dans sa chambre à coucher, s’assit sur une espèce de chaise longue, appuya sa tête sur des coussins, et, réfléchissant que maître Ambroise Paré pourrait n’être pas chez lui et tarder à venir, il voulut utiliser le temps de l’attente.

En conséquence, il frappa dans ses mains ; un garde parut.

— Prévenez le roi de Navarre que je veux lui parler, dit Charles.

Le garde s’inclina et obéit.

Charles renversa sa tête en arrière, une lourdeur effroyable de cerveau lui laissait à peine la faculté de lier ses idées les unes aux autres, une espèce de nuage sanglant flottait devant ses yeux ; sa bouche était aride, et il avait déjà, sans étancher sa soif, vidé toute une carafe d’eau.

Au milieu de cette somnolence, la porte se rouvrit et Henri parut ; M. de Nancey le suivait par derrière, mais il s’arrêta dans l’antichambre.

Le roi de Navarre attendit que la porte fût refermée derrière lui.

Alors il s’avança.

— Sire, dit-il, vous m’avez fait demander, me voici.

Le roi tressaillit à cette voix, et fit le mouvement machinal d’étendre la main.

— Sire, dit Henri en laissant ses deux mains pendre à ses côtés, Votre Majesté oublie que je ne suis plus son frère, mais son prisonnier.