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comme son oreille touchait la terre, il demeura le doigt levé et faisant signe à La Mole de se taire.

— Qu’y a-t-il donc ? demanda celui-ci.

— Silence ! cette fois j’entends quelque chose et je ne me trompe pas.

— C’est singulier, j’ai beau écouter, je n’entends rien, moi.

— Tu n’entends rien ?

— Non.

— Eh bien ! dit Coconnas en se soulevant et en posant la main sur le bras de La Mole, regarde ce daim.

— Où ?

— Là-bas.

Et Coconnas montra du doigt l’animal à La Mole.

— Eh bien ?

— Eh bien, tu vas voir.

La Mole regarda l’animal. La tête inclinée comme s’il s’apprêtait à brouter, il écoutait immobile. Bientôt il releva son front chargé de bois superbes, et tendit l’oreille du côté d’où sans doute venait le bruit ; puis tout à coup, sans cause apparente, il partit rapide comme l’éclair.

— Oh ! oh ! dit La Mole, je crois que tu as raison, car voilà le daim qui s’enfuit.

— Donc, puisqu’il s’enfuit, dit Coconnas, c’est qu’il entend ce que tu n’entends pas.

En effet, un bruit sourd et à peine perceptible frémissait vaguement dans l’herbe ; pour des oreilles moins exercées, c’eût été le vent ; pour des cavaliers, c’était un galop lointain de chevaux.

La Mole fut sur pieds en un moment.

— Les voici, dit-il, alerte !

Coconnas se leva, mais plus tranquillement ; la vivacité du Piémontais semblait être passée dans le cœur de La Mole, tandis qu’au contraire l’insouciance de celui-ci semblait à son tour s’être emparée de son ami. C’est que l’un, dans cette circonstance, agissait d’enthousiasme, et l’autre à contre-cœur.

Bientôt un bruit égal et cadencé frappa l’oreille des deux amis : le hennissement d’un cheval fit dresser l’oreille aux chevaux qu’ils tenaient prêts à dix pas d’eux, et dans l’allée passa, comme une ombre blanche, une femme qui, se tournant de leur côté, fit un signe étrange et disparut.