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avait lue de celle qu’il voulait lire ; on dirait qu’on en a collé les feuillets pour dérober aux regards des hommes les merveilles qu’il renferme.

D’Alençon fit un bond en avant.

Ce livre, sur lequel Charles était courbé, était celui qu’il avait déposé chez Henri !

Un cri sourd lui échappa.

— Ah ! c’est vous, d’Alençon ? dit Charles, soyez le bienvenu, et venez voir le plus beau livre de vénerie qui soit jamais sorti de la plume d’un homme.

Le premier mouvement de d’Alençon fut d’arracher le livre des mains de son frère ; mais une pensée infernale le cloua à sa place, un sourire effrayant passa sur ses lèvres blêmies, il passa la main sur ses yeux comme un homme ébloui.

Puis revenant peu à peu à lui, mais sans faire un pas en avant ni en arrière :

— Sire, demanda d’Alençon, comment donc ce livre se trouve-t-il entre les mains de Votre Majesté ?

— Rien de plus simple. Ce matin, je suis monté chez Henriot pour voir s’il était prêt ; il n’était déjà plus chez lui ; sans doute il courait les chenils et les écuries ; mais, à sa place, j’ai trouvé ce trésor que j’ai descendu ici pour le lire tout à mon aise.

Et le roi porta encore une fois son pouce à ses lèvres, et une fois encore fit tourner la page rebelle.

— Sire, balbutia d’Alençon dont les cheveux se hérissèrent et qui se sentit saisir par tout le corps d’une angoisse terrible, sire, je venais pour vous dire…

— Laissez-moi achever ce chapitre, François, dit Charles, et ensuite vous me direz tout ce que vous voudrez. Voilà cinquante pages que je lis, c’est-à-dire que je dévore.

— Il a goûté vingt-cinq fois le poison, pensa François. Mon frère est mort !

Alors il pensa qu’il y avait un Dieu au ciel qui n’était peut-être point le hasard.

François essuya de sa main tremblante la froide rosée qui dégouttait sur son front, et attendit silencieux, comme le lui avait ordonné son frère, que le chapitre fût achevé.