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D’Alençon regarda le livre que lui présentait sa mère avec une certaine terreur.

— Qu’est-ce que ce livre, Madame ? demanda en frissonnant le duc.

— Je vous l’ai déjà dit, mon fils, c’est un travail sur l’art d’élever et de dresser faucons, tiercelets et gerfauts, fait par un fort savant homme, par le seigneur Castruccio Castracani, tyran de Lucques.

— Et que dois-je en faire ?

— Mais le porter chez votre bon ami Henriot, qui vous l’a demandé, à ce que vous m’avez dit, lui ou quelque autre pareil, pour s’instruire dans la science de la volerie. Comme il chasse au vol aujourd’hui avec le roi, il ne manquera pas d’en lire quelques pages, afin de prouver au roi qu’il suit ses conseils en prenant des leçons. Le tout est de le remettre à lui-même.

— Oh ! je n’oserai pas, dit d’Alençon en frissonnant.

— Pourquoi ? dit Catherine, c’est un livre comme un autre, excepté qu’il a été si longtemps renfermé que les pages sont collées les unes aux autres. N’essayez donc pas de les lire, vous, François, car on ne peut les lire qu’en mouillant son doigt et en poussant les pages feuille à feuille, ce qui prend beaucoup de temps et donne beaucoup de peine.

— Si bien qu’il n’y a qu’un homme qui a le grand désir de s’instruire qui puisse perdre ce temps et prendre cette peine ? dit d’Alençon.

— Justement, mon fils, vous comprenez.

— Oh ! dit d’Alençon, voici déjà Henriot dans la cour ; donnez, Madame, donnez. Je vais profiter de son absence pour porter ce livre chez lui : à son retour il le trouvera.

— J’aimerais mieux que vous le lui donnassiez à lui-même, François, ce serait plus sûr.

— Je vous ai déjà dit que je n’oserais point, Madame, reprit le duc.

— Allez donc ; mais au moins posez-le dans un endroit bien apparent.

— Ouvert ?… Y a-t-il inconvénient à ce qu’il soit ouvert ?

— Non.

— Donnez alors.

D’Alençon prit d’une main tremblante le livre que, d’une main ferme, Catherine étendait vers lui.