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mesure qu’ils approchaient de la France, et qu’ils reconnaissaient maintenant n’être autre chose que les deux beaux yeux de la reine de Navarre. Enfin, passant de l’Évangile au Coran, de la Syrie à l’Arabie Pétrée, de Nazareth à la Mecque, il termina en disant qu’il était tout prêt à faire ce que faisaient les sectateurs ardents du Prophète, qui, une fois qu’ils avaient eu le bonheur de contempler son tombeau, se crevaient les yeux, jugeant qu’après avoir joui d’une si belle vue rien dans ce monde ne valait plus la peine d’être admiré.

Ce discours fut couvert d’applaudissements de la part de ceux qui parlaient latin, parce qu’ils partageaient l’opinion de l’orateur ; de la part de ceux qui ne l’entendaient point, parce qu’ils voulaient avoir l’air de l’entendre.

Marguerite fit d’abord une gracieuse révérence au galant Sarmate ; puis, tout en répondant à l’ambassadeur, fixant les yeux sur de Mouy, elle commença en ces termes :

« Quod nunc hac in aulâ insperati adestis exultaremus ego et conjux, nisi ideo immineret calamitas, scilicet non solum fratris sed etiam amici orbitas[1]. »

Ces paroles avaient deux sens, et, tout en s’adressant à de Mouy, pouvaient s’adresser à Henri d’Anjou. Aussi ce dernier salua-t-il en signe de reconnaissance.

Charles ne se rappela point avoir lu cette phrase dans le discours qui lui avait été communiqué quelques jours auparavant ; mais il n’attachait point grande importance aux paroles de Marguerite, qu’il savait être un discours de simple courtoisie. D’ailleurs, il comprenait fort mal le latin.

Marguerite continua :

« Adeo dolemur a te dividi ut tecum proficisci maluissemus. Sed idem fatum quo nunc sine ullâ morâ Lutetiâ cedere juberis, hac in urbe detinet. Proficiscere ergo, frater ; proficiscere, amice ; proficiscere sine nobis ; proficiscentem sequuntur spes et desideria nostra[2]. »

  1. Votre présence inespérée dans cette cour nous comblerait de joie, moi et mon mari, si elle n’amenait un grand malheur, c’est-à-dire non seulement la perte d’un frère, mais encore celle d’un ami.
  2. Nous sommes désespérés d’être séparés de vous, quand nous eussions préféré partir avec vous. Mais le même destin qui veut que vous quittiez sans retard Paris, nous enchaîne, nous, dans cette ville. Partez donc, cher frère ; partez donc, cher ami ; partez sans nous. Notre espérance et nos désirs vous suivent.