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« Madame et ma reine, faites que je puisse vous donner un de ces baisers que je vous envoie. J’attends. »

Marguerite achevait à peine cette seconde partie de la lettre, qu’elle entendit la voix de Henri de Navarre qui, avec sa réserve habituelle, frappait à la porte commune, et demandait à Gillonne s’il pouvait entrer.

La reine divisa aussitôt la lettre, mit une des pages dans son corset, l’autre dans sa poche, courut à la fenêtre qu’elle ferma, et s’élançant vers la porte :

— Entrez, sire, dit-elle.

Si doucement, si promptement, si habilement que Marguerite eût fermé cette fenêtre, la commotion en était arrivée jusqu’à Henri, dont les sens toujours tendus avaient, au milieu de cette société dont il se défiait si fort, presque acquis l’exquise délicatesse où ils sont portés chez l’homme vivant dans l’état sauvage. Mais le roi de Navarre n’était pas un de ces tyrans qui veulent empêcher leurs femmes de prendre l’air et de contempler les étoiles.

Henri était souriant et gracieux comme d’habitude.

— Madame, dit-il, tandis que nos gens de cour essayent leurs habits de cérémonie, je pense à venir échanger avec vous quelques mots de mes affaires, que vous continuez de regarder comme les vôtres, n’est-ce pas ?

— Certainement, Monsieur, répondit Marguerite, nos intérêts ne sont-ils pas toujours les mêmes ?

— Oui, Madame, et c’est pour cela que je voulais vous demander ce que vous pensez de l’affectation que M. le duc d’Alençon met depuis quelques jours à me fuir, à ce point que depuis avant-hier il s’est retiré à Saint-Germain. Ne serait-ce pas pour lui soit un moyen de partir seul, car il est peu surveillé, soit un moyen de ne point partir du tout ? Votre avis, s’il vous plaît, Madame ? il sera, je vous l’avoue, d’un grand poids pour affermir le mien.

— Votre Majesté a raison de s’inquiéter du silence de mon frère. J’y ai songé aujourd’hui toute la journée, et mon avis est que, les circonstances ayant changé, il a changé avec elles.

— C’est-à-dire, n’est-ce pas, que, voyant le roi Charles malade, le duc d’Anjou roi de Pologne, il ne serait pas fâché de demeurer à Paris pour garder à vue la couronne de France ?