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Et le vieillard s’agitait comme un fou et sautait sur sa jambe comme le diable boiteux, faisait aller ses bras comme un moulin à vent.

Antonia regardait cette folie du vieillard avec ce doux sourire d’orgueil filial satisfait. Elle savait bien, elle qui n’avait jamais fait de coquetterie qu’avec son père, elle savait bien qu’elle était toute-puissante sur le vieillard, que son cœur était un royaume où elle régnait en souveraine absolue. Aussi arrêta-t-elle le vieillard au milieu de ses évolutions, et l’attirant à elle, déposa-t-elle un simple baiser sur son front.

Le vieillard jeta un cri de joie, prit sa fille dans ses bras, l’enleva comme il eût fait d’un oiseau, et alla s’abattre, après avoir tourné trois ou quatre fois sur lui-même, sur un grand canapé où il commença de la bercer comme une mère fait de son enfant.

D’abord Hoffmann avait regardé maître Gottlieb avec effroi ; en lui voyant jeter les partitions en l’air, en lui voyant enlever sa fille entre ses bras, il l’avait cru fou furieux, enragé. Mais, au sourire paisible d’Antonia, il s’était promptement rassuré, et, ramassant respectueusement les partitions éparses, il les replaçait sur les tables et sur les pupitres, tout en regardant du coin de l’œil ce groupe étrange, où le vieillard lui-même avait sa poésie.

Tout à coup, quelque chose de doux, de suave, d’aérien, passa dans l’air, c’était une vapeur, c’était une mélodie, c’était quelque chose de plus divin encore : c’était la voix d’Antonia qui attaquait, avec sa fantaisie d’artiste, cette merveilleuse composition de Stradella qui avait sauvé la vie à son auteur, le Pieta, Signore.