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carrées, sans fenêtres, sans ouvertures, montant en amphithéâtre, blanches comme de la craie, et se détachant sur le ciel avec une netteté singulière. À gauche s’élevaient comme une immense muraille à créneaux, les montagnes de Plomb, dont le nom indique la teinte sombre ; à leur pied rampaient le marabout et le village des Sidi-Fathallah ; à droite on distinguait le tombeau de Saint-Louis et la place où fut Carthage ; deux des plus grands souvenirs qu’il y ait dans l’histoire du monde. Derrière nous se balançait à l’ancre le Montézuma, magnifique frégate à vapeur de la force de quatre cent cinquante chevaux.

Certes, il y avait bien là de quoi distraire l’imagination la plus préoccupée. À la vue de toutes ces richesses, en eût oublié la veille, le jour et le lendemain. Mais mon esprit était à dix ans de là, fixé obstinément sur une seule pensée qu’un rêve avait clouée dans mon cerveau.

Mon œil devint fixe. Tout ce splendide panorama s’efffaça Peu à peu dans la vaguité de mon regard. Bientôt je ne vis plus rien de ce qui existait : La réalité disparut ; puis, du milieu de ce vide nuageux, comme sous la baguette d’une fée, se dessina un salon aux lambris blancs, dans l’enfoncement duquel, assise devant un piano où ses doigts erraient négligemment, se tenait une femme inspirée et pensive à la fois, une muse et une sainte. Je reconnus cette femme, et je murmurai comme si elle eût pu m’entendre :

— Je vous salue, Marie, pleine de grâces, mon esprit est avec vous.

Puis, n’essayant plus de résister à cet ange aux ailes blanches qui, me ramenant aux jours de ma jeunesse, et