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— Allons, allons, dit-il, c’est moins mal que je ne croyais ; quand tu auras oublié tout ce que tu as appris, quand tu ne feras plus de ces bonds à la mode, quand tu ménageras ces traits sautillants et ces démanchés criards, on fera quelque chose de toi.

Cet éloge, de la part d’un homme aussi difficile que le vieux musicien, ravit Hoffmann. Puis il n’oubliait pas, tout noyé qu’il était dans l’océan musical, que maître Gottlieb était le père de la belle Antonia.

Aussi, prenant au bond les paroles qui venaient de tomber de la bouche du vieillard :

— Et qui se chargera de faire quelque chose de moi ? demanda-t-il, est-ce vous, maître Gottlieb ?

— Pourquoi pas, jeune homme ? pourquoi pas, si tu veux écouter le vieux Murr ?

— Je vous écouterai, maître, et tant que vous voudrez.

— Oh ! murmura le vieillard avec mélancolie, car son regard se rejetait dans le passé, car sa mémoire remontait les ans révolus, c’est que j’en ai bien connu des virtuoses ! J’ai connu Corelli, par tradition, c’est vrai ; c’est lui qui a ouvert la route, qui a frayé le chemin ; il faut jouer à la manière de Tartini ou y renoncer. Lui, le premier, il a deviné que le violon était, sinon un dieu, du moins le temple d’où un dieu pouvait sortir. Après lui vient Pugnani, violon passable, intelligent, mais mou, trop mou, surtout dans certains appoggiamenti ; puis Germiniani, vigoureux celui-là, mais vigoureux par boutades, sans transition ; j’ai été à Paris exprès pour le voir, comme tu veux, toi, aller à Paris pour voir l’Opéra : un maniaque, mon ami, un somnambule, mon ami, un homme qui gesticulait en rêvant,