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si tu me disais, malheureux, qu’il est impossible de reconnaître l’âge du vin en le goûtant. Écoute bien : aussi vrai que nous sommes aujourd’hui le 10 mai 1793, ce violon a été fait pendant le voyage que l’immortel Antonio fit de Crémone à Mantoue en 1705, et où il laissa son atelier à son premier élève. Aussi, vois-tu, ce Stradivarius-là, je suis bien aise de te le dire, n’est que de troisième ordre ; mais j’ai bien peur que ce ne soit encore trop bon pour un pauvre écolier comme toi. Va va, va !

Hoffmann épaula le violon, et, non sans un vif battement de cœur, commença les variations sur le thème de Don Juan :

La ci darem’ la mano.

Maître Gottlieb était debout près d’Hoffmann, battant à la fois la mesure avec sa tête et avec le bout du pied de sa jambe torse. À mesure qu’Hoffmann jouait, sa figure s’animait, ses yeux brillaient, sa mâchoire supérieure mordait la lèvre inférieure, et, aux deux côtés de cette lèvre aplatie, sortaient deux dents, que dans la position ordinaire elle était destinée à cacher, mais qui en ce moment se dressaient comme deux défenses de sanglier. Enfin, un allegro, dont Hoffmann triompha assez vigoureusement, lui attira de la part de maître Gottlieb un mouvement de tête qui ressemblait à un signe d’approbation.

Hoffmann finit par un démanché qu’il croyait des plus brillants, mais qui, loin de satisfaire le vieux musicien, lui fit faire une affreuse grimace.

Cependant sa figure se rasséréna peu à peu, et frappant sur l’épaule du jeune homme :