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Je dis à peu près, parce qu’il y avait dans Christine, relativement au temps où nous vivions, c’est-à-dire à l’an de grâce 1827, de telles énormités littéraires, que messieurs les comédiens ordinaires du roi n’osèrent me recevoir d’emblée, et subordonnèrent leur opinion à celle de M. Picard, auteur de la Petite Ville.

Monsieur Picard était un des oracles du temps.

Firmin me conduisit chez monsieur Picard. Monsieur Picard me reçut dans une bibliothèque garnie de toutes les éditions de ses œuvres et ornée de son buste. Il prit mon manuscrit, me donna rendez-vous à huit jours, et nous congédia.

Au bout de huit jours, heure pour heure, je me présentai à la porte de monsieur Picard. Monsieur Picard m’attendait évidemment ; il me reçut avec le sourire de Rigobert dans Maison à vendre.

— Monsieur, me dit-il en me tendant mon manuscrit proprement roulé, avez-vous quelque moyen d’existence ?

Le début n’était pas encourageant.

— Oui, monsieur, répondis-je ; j’ai une petite place chez monsieur le duc d’Orléans.

— Eh bien ! mon enfant, fit-il en me mettant affectueusement mon rouleau entre les deux mains et en me prenant les mains du même coup, allez à votre bureau.

Et, enchanté d’avoir fait un mot, il se frotta les mains en m’indiquant du geste que l’audience était terminée.

Je n’en devais pas moins un remerciement à Nodier. Je me présentai à l’Arsenal. Nodier me reçut, comme il recevait, avec un sourire aussi… Mais il y a sourire et sourire, comme dit Molière.