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tous les autres. Monsieur de Bassompierre, à qui l’on venait dire, au moment où il commençait à danser avec Marie de Médicis : « Votre mère est morte », et qui répondait : « Ma mère ne sera morte que quand j’aurai dansé, » monsieur de Bassompierre était un fils pieux à côté d’un joueur. Un joueur en état de jeu, à qui l’on viendrait dire pareille chose, ne répondrait même pas le mot du marquis : d’abord parce que ce serait du temps perdu, et ensuite parce qu’un joueur, s’il n’a jamais de cœur, n’a jamais non plus d’esprit quand il joue.

Quand il ne joue pas, c’est la même chose, il pense à jouer.

Le joueur a toutes les vertus de son vice. Il est sobre, il est patient, il est infatigable. Un joueur qui pourrait tout à coup détourner au profit d’une passion honnête, d’un grand sentiment, l’énergie incroyable qu’il met au service du jeu, deviendrait instantanément un des plus grands hommes du monde. Jamais César, Annibal ou Napoléon n’ont eu, au milieu même de l’exécution de leurs plus grandes choses, une force égale à la force du joueur le plus obscur. L’ambition, l’amour, les sens, le cœur, l’esprit, l’ouïe, l’odorat, le toucher, tous les ressorts vitaux de l’homme enfin, se réunissent sur un seul mot et sur un seul but : jouer. Et n’allez pas croire que le joueur joue pour gagner ; il commence par là d’abord, mais il finit par jouer pour jouer, pour voir des cartes, pour manipuler de l’or, pour éprouver ces émotions étranges qui n’ont leur comparaison dans aucune des autres passions de la vie ; qui font que, devant le gain ou la perte, ces deux pôles de l’un à l’autre desquels le joueur va avec la rapidité du