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hollandais ou dans quelque table d’hôte allemande, tant la fumée de la pipe y faisait une atmosphère impossible à respirer pour tout autre que pour un fumeur de première classe.

Une fois entré dans l’estaminet de la Fraternité, Hoffmann gagnait une petite table sise à l’angle le plus enfoncé, demandait une bouteille de bière de la brasserie de monsieur Santerre, qui venait de se démettre, en faveur de monsieur Henriot, de son grade de général de la garde nationale de Paris, chargeait jusqu’à la gueule cette immense pipe que nous connaissons déjà, et s’enveloppait en quelques instans d’un nuage de fumée aussi épais que celui dont la belle Vénus enveloppait son fils Énée, chaque fois que la tendre mère jugeait urgent d’arracher son fils bien-aimé à la colère de ses ennemis.

Huit ou dix jours étaient écoulés depuis l’aventure d’Hoffmann à l’Opéra, et, par conséquent depuis la disparition de la belle danseuse ; il était une heure de l’après-midi ; Hoffmann, depuis une demi-heure à peu près, se trouvait dans son estaminet, s’occupant, de toute la force de ses poumons, à établir autour de lui cette enceinte de fumée qui le séparait de ses voisins, quand il lui sembla, dans la vapeur, distinguer comme une forme humaine, puis, dominant tous les bruits, entendre le double bruit du chantonnement et du tambourinement habituel au petit homme noir ; de plus, au milieu de cette vapeur, il lui semblait qu’un point lumineux dégageait des étincelles ; il rouvrit ses yeux à demi fermés par une douce somnolence, écarta ses paupières avec peine, et, en face de lui, assis sur un tabouret, il reconnut son voisin de l’Opéra, et cela