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vait parvenir à le distraire de la douloureuse pensée et du lugubre souvenir qui l’avaient amené là où il était.

— Qu’est-ce que cela eût changé ? pensa-t-il en rentrant brusquement dans les impressions de la journée, qu’est-ce que cela eût changé dans le monde, si l’on eût laissé vivre cette malheureuse femme ? Quel mal cela aurait-il fait si ce cœur eût continué de battre, cette bouche de respirer ? quel malheur en fût-il advenu ? Pourquoi interrompre brusquement tout cela ? De quel droit arrêter la vie au milieu de son élan ? Elle serait bien au milieu de toutes ces femmes, tandis qu’à cette heure son pauvre corps, le corps qui fut aimé d’un roi, gît dans la boue d’un cimetière, sans fleurs, sans croix, sans tête. Comme elle criait, mon Dieu ! comme elle criait ! puis tout à coup…

Hoffmann cacha son front dans ses mains.

— Qu’est-ce que je fais ici, moi ? se dit-il ; oh ! je vais m’en aller.

Et il allait peut-être s’en aller en effet, quand, en relevant la tête, il vit sur la scène une danseuse qui n’avait pas paru au premier acte, et que la salle entière regardait danser sans faire un mouvement, sans exhaler un souffle.

— Oh ! que cette femme est belle ! s’écria Hoffmann assez haut pour que ses voisins et la danseuse même l’entendissent.

Celle qui avait éveillé cette admiration subite regarda le jeune homme qui avait, malgré lui, poussé cette exclamation, et Hoffmann crut qu’elle le remerciait du regard.

Il rougit et tressaillit comme s’il eût été touché par de l’étincelle électrique.