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nait peu à peu ; les caractères se brouillèrent sous les yeux du rêveur, il laissa tomber la main qui tenait Le Jugement de Pâris, il fixa les yeux sur la terre, et murmura :

— Pauvre femme !

C’était l’ombre de madame Du Barry qui passait encore une fois dans le souvenir du jeune homme.

Alors il secoua la tête comme pour en chasser violemment les sombres réalités, et, mettant dans sa poche le livret de M. Gardel jeune, il prit une place et entra dans le théâtre.

La salle était comble et ruisselante de fleurs, de pierreries, de soie et d’épaules nues. Un immense bourdonnement, bourdonnement de femmes parfumées, de propos frivoles, semblable au bruit que feraient un millier de mouches volant dans une boîte de papier, et plein de ces mots qui laissent dans l’esprit la même trace que les ailes des papillons aux doigts des enfans qui les prennent et qui, deux minutes après, ne sachant plus qu’en faire, lèvent les mains en l’air et leur rendent la liberté.

Hoffmann prit une place à l’orchestre et, dominé par l’atmosphère ardente de la salle, il parvint à croire un instant qu’il y était depuis le matin, et que ce sombre décès que regardait sans cesse sa pensée était un cauchemar et non pas une réalité. Alors sa mémoire, qui, comme la mémoire de tous les hommes, avait deux verres réflecteurs, l’un dans le cœur, l’autre dans l’esprit, se tourna insensiblement, et par la gradation naturelle des impressions joyeuses, vers cette douce jeune fille qu’il avait laissée là-bas et dont il sentait le médaillon battre, comme un autre