Page:Dumas - La Dame de Monsoreau, 1846.djvu/99

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— C’est-à-dire que je suis trahi, au contraire.

— Ah ! c’est juste ! j’oubliais la suite.

— Joué ! le misérable. Il m’a fait croire à la mort d’une femme….

— Qu’il vous volait ; en effet, le trait est noir, mais, ajouta Bussy avec une ironie poignante, l’amour de M. de Monsoreau est une excuse.

— Ah ! tu crois ? dit le duc avec son plus mauvais sourire.

— Dame ! reprit Bussy, je n’ai pas d’opinion là-dessus ; je le crois si vous le croyez.

— Que ferais-tu à ma place ? Mais d’abord attends ; qu’a-t-il fait lui-même ?

— Il a fait accroire au père de la jeune fille que c’était vous qui étiez le ravisseur. Il s’est offert pour appui ; il s’est présenté au château de Beaugé avec une lettre du baron de Méridor ; enfin il a fait approcher une barque des fenêtres du château, et il a enlevé la prisonnière ; puis, la renfermant dans la maison que vous savez, il l’a poussée, de terreurs en terreurs, à devenir sa femme.

— Et ce n’est point là une déloyauté infâme ? s’écria le duc.

— Mise à l’abri sous la vôtre, monseigneur, répondit le gentilhomme avec sa hardiesse ordinaire.

— Ah ! Bussy !… tu verras si je sais me venger !

— Vous venger ! allons donc, monseigneur, vous ne ferez point une chose pareille.

— Comment ?

— Les princes ne se vengent point, monseigneur, ils punissent. Vous reprocherez son infamie à ce Monsoreau, et vous le punirez.

— Et de quelle façon ?

— En rendant le bonheur à mademoiselle de Méridor.

— Et le puis-je ?

— Certainement.

— Et comment cela ?

— En lui rendant la liberté.

— Voyons, explique-toi.

— Rien de plus facile ; le mariage a été forcé, donc le mariage est nul.

— Tu as raison.

— Faites donc annuler le mariage, et vous aurez agi, monseigneur, en digne gentilhomme et en noble prince.

— Ah ! ah ! dit le prince soupçonneux, quelle chaleur ! cela t’intéresse donc, Bussy ?

— Moi, pas le moins du monde ; ce qui m’intéresse, monseigneur, c’est qu’on ne dise pas que Louis de Clermont, comte de Bussy, sert un prince perfide et un homme sans honneur.

— Eh bien ! tu verras. Mais comment rompre ce mariage ?

— Rien de plus facile, en faisant agir le père.

— Le baron de Méridor ?

— Oui.

— Mais il est au fond de l’Anjou.

— Il est ici, monseigneur, c’est-à-dire à Paris.

— Chez toi ?

— Non, près de sa fille. Parlez-lui, monseigneur, qu’il puisse compter sur vous ; qu’au lieu de voir dans Votre Altesse ce qu’il y a vu jusqu’à présent, c’est-à-dire un ennemi, il y voie un protecteur, et lui, qui maudissait votre nom, va vous adorer comme son bon génie.

— C’est un puissant seigneur dans son pays, dit le duc, et l’on assure qu’il est très influent dans toute la province.

— Oui, monseigneur ; mais ce dont vous devez vous souvenir avant toute chose, c’est qu’il est père, c’est que sa fille est malheureuse et qu’il est malheureux du malheur de sa fille.

— Et quand pourrais-je le voir ?

— Aussitôt votre retour à Paris.

— Bien.

— C’est convenu alors, n’est-ce pas, monseigneur ?

— Oui.

— Foi de gentilhomme ?

— Foi de prince.

— Et quand partez-vous ?

— Ce soir ; m’attends-tu ?

— Non, je cours devant.

— Va, et tiens-toi prêt.

— Tout à vous, monseigneur. Où retrouverai-je Votre Altesse ?

— Au lever du roi, demain, vers midi.

— J’y serai, monseigneur ; adieu.

Bussy ne perdit pas un moment, et le chemin que le duc fit en dormant dans sa litière et qu’il mit quinze heures à faire, le jeune homme, qui revenait à Paris le cœur gonflé d’amour et de joie, le dévora en cinq heures pour consoler plus tôt le baron, auquel il avait promis assistance, et Diane, à laquelle il allait porter la moitié de sa vie.


CHAPITRE XXXIV.

COMMENT CHICOT REVINT AU LOUVRE ET FUT REÇU PAR LE ROI HENRI III.


Tout dormait au Louvre, car il n’était encore que onze heures du matin ; les sentinelles de la cour semblaient marcher avec précaution ; les chevaliers qui relevaient la garde allaient au pas.

On laissait reposer le roi, fatigué de son pèlerinage.

Deux hommes se présentèrent en même temps à la porte principale du Louvre : l’un, sur un barbe d’une fraîcheur incomparable ; l’autre, sur un andaloux tout floconneux d’écume.

Ils s’arrêtèrent de front à la porte et se regardèrent ; car, venus par deux chemins opposés, ils se rencontraient là seulement.

— Monsieur de Chicot, s’écria le plus jeune des deux en saluant avec politesse, comment vous portez-vous ce matin ?

— Eh ! c’est le seigneur de Bussy. Mais, à merveille, monsieur, répondit Chicot avec une aisance et une courtoisie qui sentaient le gentilhomme pour le moins autant que le salut de Bussy sentait son grand seigneur et son homme délicat.

— Vous venez voir le lever du roi, monsieur ? demanda Bussy.

— Et vous aussi, je présume ?

— Non. Je viens pour saluer monseigneur le duc d’Anjou. Vous savez, monsieur de Chicot, ajouta Bussy en souriant, que je n’ai pas le bonheur d’être des favoris de Sa Majesté ?

— C’est un reproche que je ferai au roi et non à vous, monsieur !

Bussy s’inclina.

— Et vous arrivez de loin ? demanda Bussy. On vous disait en voyage.

— Oui, monsieur, je chassais, répliqua Chicot. Mais, de votre côté, ne voyagiez-vous point aussi ?

— En effet, j’ai fait une course en province ; maintenant, monsieur, continua Bussy, serez-vous assez bon pour me rendre un service ?

— Comment donc, chaque fois que M. de Bussy voudra disposer de moi pour quelque chose que ce soit, dit Chicot, il m’honorera infiniment.

— Eh bien, vous allez pénétrer dans le Louvre, vous le privilégié, tandis que moi, je resterai dans l’antichambre ; veuillez donc faire prévenir le duc d’Anjou que j’attends.

— M. le duc d’Anjou est au Louvre, dit Chicot, et va sans doute assister au lever de Sa Majesté ; que n’entrez-vous avec moi, monsieur ?

— Je crains le mauvais visage du roi.

— Bah !

— Dame ! il ne m’a point jusqu’à présent habitué à ses plus gracieux sourires.

— D’ici à quelque temps, soyez tranquille, tout cela changera.

— Ah ! ah ! vous êtes donc nécromancien, monsieur de Chicot ?

— Quelquefois. Allons, du courage, venez, monsieur de Bussy.

Ils entrèrent en effet, et se dirigèrent, l’un vers le logis de M. le duc d’Anjou, qui habitait, nous croyons l’avoir déjà