que j’éclaircirai. Mais ce que je vous proteste, moi, c’est que si j’eusse eu le bonheur de me trouver à la place de M. de Monsoreau, moi aussi j’eusse sauvé du déshonneur votre fille, innocente et belle, et, sur Dieu qui m’entend ! je ne lui eusse pas fait payer ce service.
— Il l’aimait, dit M. de Méridor, qui sentait lui-même tout ce qu’avait d’odieux la conduite de M. de Monsoreau, et il faut bien pardonner à l’amour.
— Et moi, donc ! s’écria Bussy, est-ce que…
Mais, effrayé de cet éclat qui allait malgré lui s’échapper de son cœur, Bussy s’arrêta, et ce fut l’éclair qui jaillit de ses yeux qui acheva la phrase interrompue sur ses lèvres.
Diane ne la comprit pas moins et mieux encore peut-être que si elle eût été complète.
— Eh bien ! dit-elle en rougissant, vous m’avez comprise, n’est-ce pas ? Eh bien ! mon ami, mon frère, vous avez réclamé ces deux titres, et je vous les donne ; eh bien ! mon ami, eh bien ! mon frère, pouvez-vous quelque chose pour moi ?
— Mais le duc d’Anjou ! le duc d’Anjou ! murmura le vieillard, qui voyait toujours la foudre qui le menaçait gronder dans la colère de l’Altesse royale.
— Je ne suis pas de ceux qui craignent les colères des princes, seigneur Augustin, répondit le jeune homme ; et je me trompe fort, ou nous n’avons point cette colère à redouter ; si vous le voulez, monsieur de Méridor, je vous ferai, moi, tellement ami du prince, que c’est lui qui vous protégera contre M. de Monsoreau, de qui vous vient, croyez-moi, le véritable danger, danger inconnu, mais certain ; invisible, mais peut-être inévitable.
— Mais, si le duc apprend que Diane est vivante, tout est perdu, dit le vieillard.
— Allons, dit Bussy, je vois bien que, quoi que j’aie pu vous dire, vous croyez M. de Monsoreau avant moi et plus que moi. N’en parlons plus, repoussez mon offre, monsieur le baron, repoussez le secours tout-puissant que j’appelais à votre aide ; jetez-vous dans les bras de l’homme qui a si bien justifié votre confiance ; je vous l’ai dit : j’ai accompli ma tâche, je n’ai plus rien à faire ici. Adieu, seigneur Augustin, adieu madame, vous ne me verrez plus, je me retire, adieu !
— Oh ! s’écria Diane en saisissant la main du jeune homme, m’avez-vous vue faiblir un instant, moi ? m’avez-vous vue revenir à lui ? Non. Je vous le demande à genoux, ne m’abandonnez pas, monsieur de Bussy, ne m’abandonnez pas !
Bussy serra les belles mains suppliantes de Diane, et toute sa colère tomba comme tombe cette neige que fond à la crête des montagnes le chaud sourire du soleil de mai.
— Puisqu’il en est ainsi, dit Bussy, à la bonne heure, madame ; oui, j’accepte la mission sainte que vous me confiez, et, avant trois jours, car il me faut le temps de rejoindre le prince, qui est, dit-on, en pèlerinage à Chartres avec le roi, avant trois jours vous verrez du nouveau, ou j’y perdrai mon nom de Bussy.
Et, s’approchant d’elle avec une ivresse qui embrasait à la fois son souffle et son regard :
— Nous sommes alliés contre le Monsoreau, lui dit-il tout bas ; rappelez-vous que ce n’est pas lui qui vous a ramené votre père, et ne me soyez point perfide.
Et, serrant une dernière fois la main du baron, il s’élança hors de l’appartement.
CHAPITRE XXVI.
COMMENT FRÈRE GORENFLOT SE RÉVEILLA, ET DE L’ACCUEIL QUI LUI FUT FAIT À SON COUVENT.
Nous avons laissé notre ami Chicot en extase devant le sommeil non interrompu et devant le ronflement splendide de frère Gorenflot ; il fit signe à l’aubergiste de se retirer et d’emporter la lumière, après lui avoir recommandé sur toutes choses de ne pas dire un mot au digne frère de la sortie qu’il avait faite à dix heures du soir, et de la rentrée qu’il venait de faire à trois heures du matin.
Comme maître Bonhomet avait remarqué une chose, c’est que dans les relations qui existaient entre le fou et le moine, c’était toujours le fou qui payait, il tenait le fou en grande considération, tandis qu’il n’avait au contraire qu’une vénération fort médiocre pour le moine.
Il promit en conséquence à Chicot de n’ouvrir en aucun cas la bouche sur les événements de la nuit, et se retira, laissant les deux amis dans l’obscurité, ainsi que la chose venait de lui être recommandée.
Bientôt Chicot s’aperçut d’une chose qui excita son admiration, c’est que frère Gorenflot ronflait et parlait en même temps. Ce qui indiquait, non pas, comme on pourrait le croire, une conscience bourrelée de remords, mais un estomac surchargé de nourriture.
Les paroles que prononçait Gorenflot dans son sommeil formaient, recousues les unes aux autres, un affreux mélange d’éloquence sacrée et de maximes bachiques.
Cependant Chicot s’aperçut que, s’il restait dans une obscurité complète, il aurait grand’peine à accomplir la restitution qui lui restait à faire pour que Gorenflot, à son réveil, ne se doutât de rien ; en effet, il pouvait, dans les ténèbres, marcher imprudemment sur quelques-uns des quatre membres du moine, dont il ignorait les différentes directions, et, par la douleur, le tirer de sa léthargie.
Chicot souffla donc sur les charbons du brasier pour éclairer un peu la scène.
Au bruit de ce souffle, Gorenflot cessa de ronfler et murmura :
— Mes frères ! voici un vent féroce : c’est le souffle du Seigneur, c’est son haleine qui m’inspire.
Et il se remit à ronfler.
Chicot attendit un instant que le sommeil eût bien repris toute son influence, et commença de démailloter le moine.
— Brrrrou ! fit Gorenflot. Quel froid ! Cela empêchera le raisin de mûrir.
Chicot s’arrêta au milieu de son opération, qu’il reprit un instant après.
— Vous connaissez mon zèle, mes frères, continua le moine, tout pour l’Église et pour monseigneur le duc de Guise.
— Canaille ! dit Chicot.
— Voilà mon opinion, reprit Gorenflot ; mais il est certain…
— Qu’est-ce qui est certain ? demanda Chicot en soulevant le moine pour lui passer sa robe.
— Il est certain que l’homme est plus fort que le vin ; frère Gorenflot a combattu contre le vin, comme Jacob contre l’ange, et frère Gorenflot a dompté le vin.
Chicot haussa les épaules.
Ce mouvement intempestif fit ouvrir un œil au moine, et, au-dessus de lui, il vit le sourire de Chicot, qui semblait livide et sinistre à cette douteuse lueur.
— Ah ! pas de fantômes, voyons, pas de farfadets, dit le moine, comme s’il se plaignait à quelque démon familier, oublieux des conventions qu’il avait faites avec lui.
— Il est ivre mort, dit Chicot en achevant de rouler Gorenflot dans sa robe et en ramenant son capuchon sur sa tête.
— À la bonne heure, grommela le moine, le sacristain a fermé la porte du chœur, et le vent ne vient plus.
— Réveille-toi maintenant si tu veux, dit Chicot, cela m’est bien égal.
— Le Seigneur a entendu ma prière, murmura le moine, et l’aquilon qu’il avait envoyé pour geler les vignes s’est changé en doux zéphyr.
— Amen ! dit Chicot.
Et se faisant un oreiller des serviettes et un drap de la nappe, après avoir le plus vraisemblablement possible disposé les bouteilles vides et les assiettes salies, il s’endormit côte à côte avec son compagnon.
Le grand jour qui lui donnait sur les yeux, et la voix aigre de l’hôte grondant ses marmitons, qui retentissait dans la cuisine, réussirent à percer l’épaisse vapeur qui assoupissait les idées de Gorenflot.
Il se souleva, et parvint, à l’aide de ses deux mains, à s’é-