Leur poil est tondu au compas.
— Il est toujours question des mignons, bien entendu, interrompit Chicot.
— Oui, oui, va, dit Schomberg.
— Chicot reprit :
Leur poil est tondu au compas,
Mais non d’une façon pareille,
Car en avant, depuis l’oreille,
Il est long et derrière bas.
— Sa chanson est déjà vieille, dit d’Épernon.
— Vieille ! elle est d’hier.
— Eh bien, la mode a changé ce matin ; regarde.
Et d’Épernon ôta son toquet pour montrer à Chicot ses cheveux de devant presque aussi ras que ceux de derrière.
— Oh ! la vilaine tête ! dit Chicot.
Et il continua :
Leurs cheveux droits par artifice,
Par la gomme qui les hérisse,
Retordent leurs plis refrisés ;
Et, dessus leur tête légère,
Un petit bonnet par derrière
Les rend encor plus déguisés.
Je passe le quatrième couplet, dit Chicot, il est trop immoral. Et il reprit :
Pensez-vous que nos vieux François,
Qui par leurs armes valeureuses
En tant de guerres dangereuses
Ont fait retentir leurs exploits,
Et perdant le fruit de leur gloire
Avec le nom de leur victoire,
En tant de périlleux hasards,
Eussent la chemise empesée,
Eussent la perruque frisée,
Eussent le teint blanchi de fards ?
— Bravo ! dit Henri, et, si mon frère était là, il te serait bien reconnaissant, Chicot.
— Qui appelles-tu ton frère, mon fils ? dit Chicot. Est-ce par hasard Joseph Foulon, abbé de Sainte-Geneviève, chez lequel on dit que tu vas faire tes vœux ?
— Non pas, dit Henri, qui se prêtait à toutes les plaisanteries de Chicot. Je parle de mon frère François.
— Ah ! tu as raison ; celui-là n’est pas ton frère en Dieu, mais frère en diable. Bon ! bon ! tu parles de François, fils de France par la grâce de Dieu, duc de Brabant, de Lauthier, de Luxembourg, de Gueldre, d’Alençon, d’Anjou, de Touraine, de Berry, d’Évreux et de Château-Thierry, comte de Flandres, de Hollande, de Zélande, de Zutphen, du Maine, du Perche, de Mantes, Meulan et Beaufort, marquis du Saint-Empire, seigneur de Frise et de Malines, défenseur de la liberté belge ; à qui la nature a fait un nez, à qui la petite vérole en a fait deux, et sur qui, moi, j’ai fait ce quatrain :
Messieurs, ne soyez étonnés
Si voyez à François deux nez,
Car, par droit comme par usage,
Faut deux nez à double visage.
Les mignons éclatèrent de rire, car le duc d’Anjou était leur ennemi personnel, et l’épigramme contre le prince leur fit momentanément oublier le pasquil que Chicot venait de chanter contre eux.
Quant au roi, comme jusqu’à ce moment il n’avait reçu que les éclaboussures de ce feu roulant, il riait plus haut que tout le monde, n’épargnant personne, donnant du sucre et de la pâtisserie à ses chiens et frappant de la langue sur son frère et sur ses amis.
Tout à coup Chicot s’écria :
— Oh ! ce n’est pas politique ; Henri, Henri, c’est audacieux et imprudent.
— Quoi donc ? dit le roi.
— Non, foi de Chicot, tu ne devrais pas avouer ces choses-là ! fi donc !
— Quelles choses ? demanda Henri étonné.
— Ce que tu dis de toi-même, quand tu signes ton nom ; ah ! Henriquet, ah ! mon fils !
— Gare à vous, sire, dit Quélus, qui soupçonnait quelque méchanceté sous l’air confit en douceur de Chicot.
— Que diable veux-tu dire ? demanda le roi.
— Comment signes-tu, voyons ?
— Pardieu… je signe… je signe… Henri de Valois.
— Bon ; remarquez, messieurs, dit Chicot, que je ne le lui fais pas dire ; voyons, n’y a-t-il pas moyen de trouver un V dans ces treize lettres ?
— Sans doute, Valois commence par un V.
— Prenez vos tablettes, messire chapelain, car voici le nom sous lequel il vous faut désormais inscrire le roi : Henri de Valois n’est qu’une anagramme.
— Comment ?
— Oui, qu’une anagramme ; je vais vous dire le véritable nom de Sa Majesté actuellement régnante. Nous disons : Dedans Henri de Valois il y a un V, mettez un V sur vos tablettes.
— C’est fait, dit d’Épernon.
— N’y a-t-il pas aussi un i ?
— Certainement, c’est la dernière lettre du mot Henri.
— Que la malice des hommes est grande, dit Chicot, d’avoir été séparer ainsi des lettres faites pour être accolées l’une à l’autre ! Mettez-moi un i à côté du V. Cela y est-il ?
— Oui, dit d’Épernon.
— Cherchons bien maintenant si nous ne trouverons pas un l ; ça y est, n’est-ce pas ? un a, ça y est encore ; un autre i, nous le tenons ; enfin, un n. Bon. Sais-tu lire, Nogaret ?
— Je l’avoue à ma honte, dit d’Épernon.
— Allons donc, maraud, est-ce que, par hasard, tu te crois d’assez grande noblesse pour être ignorant ?
— Drôle ! fit d’Épernon en levant sa sarbacane sur Chicot.
— Frappe, mais épelle, dit Chicot.
D’Épernon se mit à rire et épela.
— Vi-lain, vilain ! dit-il.
— Bon ! s’écria Chicot. Tu vois, Henri, comme cela commence, voilà déjà ton vrai nom de baptême retrouvé. J’espère que tu me feras une pension comme celle que notre frère Charles IX faisait à M. Amyot, quand je vais avoir retrouvé ton nom de famille.
— Tu te feras bâtonner, Chicot, dit le roi.
— Où cueille-t-on les cannes avec lesquelles on bâtonne les gentilshommes, mon fils, est-ce en Pologne ? dis-moi cela.
— Il me semble cependant, dit Quélus, que M. de Mayenne ne s’en est pas privé avec toi, mon pauvre Chicot, le jour où il t’a trouvé avec sa maîtresse.
— Aussi est-ce un compte qui nous reste à régler ensemble. Soyez tranquille, monsieur Cupido, la chose est là, portée à son débit.
Et Chicot mit la main à son front ; ce qui prouve que dès ce temps on reconnaissait la tête pour le siège de la mémoire.
— Voyons, Quélus, dit d’Épernon, tu verras que, grâce à toi, nous allons laisser échapper le nom de famille.
— Ne craints rien, dit Chicot, je le tiens, à M. de Guise je dirais : par les cornes ; mais à toi, Henri, je me contenterai de dire : par les oreilles.
— Voyons le nom, voyons le nom ! dirent tous les jeunes gens.
— Nous avons d’abord, dans ce qui nous reste de lettres, un H majuscule ; prends l’H, Nogaret.
D’Épernon obéit.
— Puis un e, puis un r, puis là-bas, dans Valois, un o ; puis, comme tu sépares le prénom du nom par ce que les grammairiens appellent particule, je mets la main sur un d et sur un e, ce qui va nous faire, avec l’s qui termine le nom de la race, ce qui va nous faire… épelle, d’Épernon, H, é, r, o, d, e, s.