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Bussy jeta un cri, et se retournant :

— Ce n’est rien, maître, dit Remy ; c’est moi qui ai reçu la balle ; elle est sauve.

Trois hommes se jetèrent sur Bussy ; au moment où il se retournait, Saint-Luc passa entre Bussy et les trois hommes ; un des trois tomba.

Les deux autres reculèrent.

— Saint-Luc, dit Bussy ; Saint-Luc, par celle que tu aimes, sauve Diane !

— Mais toi ?

— Moi, je suis un homme.

Saint-Luc s’élança vers Diane, déjà relevée sur ses genoux, la prit entre ses bras et disparut avec elle par la porte.

— À moi ! cria Monsoreau ; à moi, ceux de l’escalier !

— Ah ! scélérat ! cria Bussy. Ah ! lâche !

Monsoreau se retira derrière ses hommes.

Bussy tira un revers et poussa un coup de pointe ; du premier, il fendit une tête par la tempe ; du second, il troua une poitrine.

— Cela déblaye, dit-il ; puis il revint dans son retranchement.

— Fuyez, maître, fuyez ! murmura Remy.

— Moi ! fuir… fuir devant des assassins !

Puis, se penchant vers le jeune homme :

— Il faut que Diane se sauve, lui dit-il ; mais toi, qu’as-tu ?

— Prenez garde ! dit Remy, prenez garde !

En effet, quatre hommes venaient de s’élancer par la porte de l’escalier. Bussy se trouvait pris entre deux troupes.

Mais il n’eut qu’une pensée.

— Et Diane ! cria-t-il, Diane !

Alors, sans perdre une seconde, il s’élança sur ces quatre hommes ; pris au dépourvu, deux tombèrent, un blessé, un mort.

Puis, comme Monsoreau avançait, il fit un pas de retraite, et se trouva derrière son rempart.

— Poussez les verrous, cria Monsoreau, tournez la clef, nous le tenons, nous le tenons !

Pendant ce temps, par un dernier effort, Remy s’était traîné jusque devant Bussy ; il venait ajouter son corps à la masse du retranchement.

Il y eut une pause d’un instant.

Bussy, les jambes fléchies, le corps collé à la muraille, le bras plié, la pointe en arrêt, jeta un rapide regard autour de lui.

Sept hommes étaient couchés à terre, neuf restaient debout.

Bussy les compta des yeux.

Mais, en voyant reluire neuf épées, en entendant Monsoreau encourager ses hommes, en sentant ses pieds clapoter dans le sang, ce vaillant, qui n’avait jamais connu la peur, vit comme l’image de la mort se dresser au fond de la chambre et l’appeler avec son morne sourire.

— Sur neuf, dit-il, j’en tuerai bien cinq encore, mais les quatre autres me tueront. Il me reste des forces pour dix minutes de combat ; eh bien ! faisons, pendant les dix minutes, ce que jamais homme ne fit ni ne fera.

Alors, détachant son manteau dont il enveloppa son bras gauche comme d’un bouclier, il fit un bond jusqu’au milieu de la chambre, comme s’il eût été indigne de sa renommée de combattre plus longtemps à couvert.

Là, il rencontra un fouillis dans lequel son épée glissa comme une vipère dans sa couvée, trois fois il vit jour et allongea le bras dans ce jour ; trois fois il entendit crier le cuir des baudriers ou le buffle des justaucorps, et trois fois un filet de sang tiède coula jusque sur sa main droite par la rainure de la lame.

Pendant ce temps il avait paré vingt coups de taille ou de pointe avec son bras gauche. Le manteau était haché.

La tactique des assassins changea en voyant tomber deux hommes et se retirer le troisième : ils renoncèrent à faire usage de l’épée, les uns tombèrent sur lui à coups de crosse de mousquet, les autres tirèrent sur lui leurs pistolets, dont ils ne s’étaient pas encore servis et dont il eut l’adresse d’éviter les balles, soit en se jetant de côté, soit en se baissant. Dans cette heure suprême, tout son être se multipliait, car, non seulement il voyait, entendait et agissait, mais encore il devinait presque la plus subite et la plus secrète pensée de ses ennemis ; Bussy enfin était dans un de ces moments où la créature atteint l’apogée de la perfection ; il était moins qu’un dieu, parce qu’il était mortel, mais il était certes plus qu’un homme.

Alors il pensa que tuer Monsoreau ce devait mettre fin au combat ; il le chercha donc des yeux parmi ses assassins ; mais celui-ci, aussi calme que Bussy était animé, chargeait les pistolets de ses gens, ou, les prenant tout chargés de leurs mains, tirait tout en se tenant masqué derrière ses spadassins.

Mais c’était chose facile pour Bussy que de faire une trouée ; il se jeta au milieu des sbires, qui s’écartèrent, et se trouva face à face avec Monsoreau.

En ce moment, celui-ci, qui tenait un pistolet tout armé, ajusta Bussy et fit feu.

La balle rencontra la lame de l’épée, et la brisa à six pouces au-dessous de la poignée,

— Désarmé ! cria Monsoreau, désarmé !

Bussy fit un pas de retraite, et, en reculant, ramassa sa lame brisée.

En une seconde, elle fut soudée à son poignet avec son mouchoir.

Et la bataille recommença, présentant ce spectacle prodigieux d’un homme presque sans armes, mais aussi presque sans blessures, épouvantant six hommes bien armés et se faisant un rempart de dix cadavres.

La lutte recommença et redevint plus terrible que jamais ; tandis que les gens de Monsoreau se ruaient sur Bussy, Monsoreau, qui avait deviné que le jeune homme cherchait une arme par terre, tirait à lui toutes celles qui pouvaient être à sa portée.

Bussy était entouré ; le tronçon de sa lame, ébréché, tordu, émoussé, vacillait dans sa main ; la fatigue commençait à engourdir son bras ; il regardait autour de lui, quand un des cadavres, ranimé, se relève sur ses genoux, lui met aux mains une longue et forte rapière.

Ce cadavre, c’était Remy, dont le dernier effort était un dévouement.

Bussy poussa un cri de joie, et bondit en arrière, afin de dégager sa main de son mouchoir et de se débarrasser du tronçon devenu inutile.

Pendant ce temps, Monsoreau s’approcha de Remy et lui déchargea à bout portant son pistolet dans la tête.

Remy tomba le front fracassé, et cette fois, pour ne plus se relever.

Bussy jeta un cri, ou plutôt poussa un rugissement.

Les forces lui étaient revenues avec les moyens de défense ; il fit siffler son épée en cercle, abattit un poignet à droite et ouvrit une joue à gauche.

La porte se trouvait dégagée par ce double coup.

Agile et nerveux, il s’élança contre elle et essaya de l’enfoncer avec une secousse qui ébranla le mur. Mais les verrous lui résistèrent.

Épuisé de l’effort, Bussy laissa retomber son bras droit, tandis que, du gauche, il essayait de tirer les verrous derrière lui, tout en faisant face à ses adversaires.

Pendant cette seconde, il reçut un coup de feu qui lui perça la cuisse et deux coups d’épée lui entamèrent les flancs.

Mais il avait tiré les verrous et tourné la clef.

Hurlant et sublime de fureur, il foudroya d’un revers le plus acharné des bandits, et, se fendant sur Monsoreau, il le toucha à la poitrine.

Le grand-veneur vociféra une malédiction.

— Ah ! dit Bussy en tirant la porte, je commence à croire que j’échapperai.

Les quatre hommes jetèrent leurs armes et s’accrochèrent à Bussy : ils ne pouvaient l’atteindre avec le fer, tant sa merveilleuse adresse le faisait invulnérable. Ils tentèrent de l’étouffer.