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— Mais il me semble bien, à moi, que c’est le prince et Aurilly.

— Justement. Mais tout à l’heure j’en serai plus sûr encore.

— Que va faire monseigneur.

— Viens !

Pendant ce temps, le duc et Aurilly tournaient par la rue Sainte-Catherine avec l’intention de longer les jardins et de revenir par le boulevard de la Bastille.

Monsoreau rentrait et ordonnait de préparer sa litière.

Ce qu’avait prévu le duc arriva. Au bruit que fit Monsoreau, Bussy prit l’alarme : la lumière s’éteignit de nouveau, la fenêtre se rouvrit, l’échelle de corde fut fixée et Bussy, à son grand regret, obligé de fuir comme Roméo, mais sans avoir, comme Roméo, vu se lever le premier rayon du jour et entendu chanter l’alouette.

Au moment où il mettait pied à terre et où Diane lui renvoyait l’échelle, le duc et Aurilly débouchaient à l’angle de la Bastille. Ils virent, juste au-dessous de la fenêtre de la belle Diane, une ombre suspendue entre le ciel et la terre ; mais cette ombre disparut presque aussitôt au coin de la rue Saint-Paul.

— Monsieur, disait le valet, nous allons réveiller toute la maison.

— Qu’importe ? répondait Monsoreau furieux ; je suis le maître ici, ce me semble, et j’ai bien le droit de faire chez moi ce que voulait y faire M. le duc d’Anjou.

La litière était prête. Monsoreau envoya chercher deux de ses gens qui logeaient rue des Tournelles, et lorsque ces gens, qui avaient l’habitude de l’accompagner depuis sa blessure, furent arrivés et eurent pris place aux deux portières, la machine partit au trot de deux robustes chevaux et en moins d’un quart d’heure fut à la porte de l’hôtel d’Anjou.

Le duc et Aurilly venaient de rentrer depuis si peu de temps, que leurs chevaux n’étaient pas encore débridés.

Monsoreau, qui avait ses entrées libres chez le prince, parut sur le seuil juste au moment où celui-ci, après avoir jeté son feutre sur un fauteuil, tendait ses bottes à un valet de chambre.

Cependant un valet qui l’avait précédé de quelques pas annonça M. le grand-veneur.

La foudre brisant les vitres de la chambre du prince n’eût pas plus étonné celui-ci que l’annonce qui venait de se faire entendre.

— Monsieur de Monsoreau ! s’écria-t-il avec une inquiétude qui perçait à la fois et dans sa pâleur et dans l’émotion de sa voix.

— Oui, monseigneur, moi-même, dit le comte en comprimant ou plutôt en essayant de comprimer le sang qui bouillait dans ses artères.

L’effort qu’il faisait sur lui-même fut si violent que M. de Monsoreau sentit ses jambes qui manquaient sous lui et tomba sur un siège placé à l’entrée de la chambre.

— Mais, dit le duc, vous vous tuerez, mon cher ami, et dans ce moment même, vous êtes si pâle, que vous semblez près de vous évanouir.

— Oh ! que non, monseigneur, j’ai, pour le moment, des choses trop importantes à confier à Votre Altesse. Peut-être m’évanouirai-je après, c’est possible.

— Voyons, parlez, mon cher comte, dit François tout bouleversé.

— Mais pas devant vos gens, je suppose, dit Monsoreau.

Le duc congédia tout le monde, même Aurilly.

Les deux hommes se trouvèrent seuls.

— Votre Altesse rentre ? dit Monsoreau.

— Comme vous voyez, comte.

— C’est bien imprudent à Votre Altesse d’aller ainsi la nuit par les rues.

— Qui vous dit que j’ai été par les rues ?

— Dame ! cette poussière qui couvre vos habits, monseigneur…

— Monsieur de Monsoreau, dit le prince avec un accent auquel il n’y avait pas à se méprendre, faites-vous donc encore un autre métier que celui de grand-veneur ?

— Le métier d’espion ? oui, monseigneur. Tout le monde s’en mêle aujourd’hui, un peu plus, un peu moins ; et moi comme les autres.

— Et que vous rapporte ce métier, monsieur ?

— De savoir ce qui se passe.

— C’est curieux, fit le prince en se rapprochant de son timbre pour être à portée d’appeler.

— Très curieux, dit Monsoreau.

— Alors, contez-moi ce que vous avez à me dire.

— Je suis venu pour cela.

— Vous permettez que je m’assoie.

— Pas d’ironie, monseigneur, envers un humble et fidèle ami comme moi, qui ne vient à cette heure et dans l’état où il est, que pour vous rendre un signalé service. Si je me suis assis, monseigneur, c’est sur mon honneur que je ne puis rester debout.

— Un service ? reprit le duc, un service.

— Oui.

— Parlez, donc.

— Monseigneur, je viens à Votre Altesse de la part d’un puissant prince.

— Du roi ?

— Non, de monseigneur le duc de Guise.

— Ah ! dit le prince, de la part du duc de Guise ! c’est autre chose. Approchez-vous et parlez bas.


CHAPITRE LXXXI.

COMMENT M. LE DUC D’ANJOU SIGNA, ET COMMENT, APRÈS AVOIR SIGNÉ, IL PARLA.


Il se fit un instant de silence entre le duc d’Anjou et Monsoreau. Puis rompant le premier ce silence :

— Eh bien, monsieur le comte, demanda le duc, qu’avez-vous à me dire de la part de MM. de Guise ?

— Beaucoup de choses, monseigneur.

— Ils vous ont donc écrit ?

— Oh ! non pas ; MM. de Guise n’écrivent plus depuis l’étrange disparition de maître Nicolas David.

— Alors, vous avez donc été à l’armée ?

— Non, monseigneur ; ce sont eux qui sont venus à Paris.

— MM. de Guise sont à Paris ! s’écria le duc.

— Oui, monseigneur.

— Et je ne les ai pas vus !

— Ils sont trop prudents pour s’exposer, et pour exposer en même temps Votre Altesse.

— Et je ne suis pas prévenu ?

— Si fait, monseigneur, puisque je vous préviens.

— Mais que viennent-ils faire ?

— Mais ils viennent, monseigneur, au rendez-vous que vous leur avez donné.

— Moi ! je leur ai donné rendez-vous ?

— Sans doute, le même jour où Votre Altesse a été arrêtée, elle avait reçu une lettre de MM. de Guise, et elle leur avait fait répondre verbalement par moi-même, qu’ils n’avaient qu’à se trouver à Paris du 31 mai au 2 juin. Nous sommes au 31 mai ; si vous avez oublié MM. de Guise, MM. de Guise, comme vous voyez, ne vous ont pas oublié, monseigneur.

François pâlit. Il s’était passé tant d’événements depuis ce jour, qu’il avait oublié ce rendez-vous, si important qu’il fût.

— C’est vrai, dit-il ; mais les relations qui existaient à cette époque entre MM. de Guise et moi n’existent plus.

— S’il en est ainsi, monseigneur, dit le comte, vous ferez bien de les en prévenir, car je crois qu’ils jugent les choses tout autrement.

— Comment cela ?

— Oui, peut-être vous croyez-vous délié envers eux, monseigneur ; mais eux, continuent de se croire liés envers vous.

— Piège, mon cher comte, leurre auquel un homme comme moi ne se laisse pas deux fois prendre.