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— Le plus vite possible, car vous comprenez que, d’un moment à l’autre, on peut découvrir l’accident.

— Quel accident ? s’écria madame de Saint-Luc en revenant sur sa pensée comme quelquefois on revient sur ses pas.

— Ah ! fit Saint-Luc.

— Mais, j’y pense, dit Jeanne, voilà madame de Monsoreau veuve.

— Voilà justement ce que je me disais tout à l’heure.

— Après l’avoir tué ?

— Non, auparavant.

— Allons, tandis que je vais la prévenir…

— Prenez bien des ménagements, chère amie !

— Mauvaise nature ! pendant que je vais la prévenir, sellez les chevaux vous-même comme pour une promenade.

— Excellente idée. Vous ferez bien d’en avoir comme cela plusieurs, chère amie, car pour moi, je l’avoue, ma tête commence un peu à s’embarrasser.

— Mais où allons-nous ?

— À Paris.

— À Paris ! et le roi ?

— Le roi aura tout oublié ; il s’est passé tant de choses depuis que nous ne nous sommes vus ; puis s’il y a la guerre, ce qui est probable, ma place est à ses côtés.

— C’est bien ; nous partons pour Paris alors.

— Oui, seulement je voudrais une plume et de l’encre.

— Pour écrire à qui ?

— À Bussy ; vous comprenez que je ne puis pas quitter comme cela l’Anjou sans lui dire pourquoi je le quitte.

— C’est juste, vous trouverez tout ce qu’il vous faut pour écrire dans ma chambre.

Saint-Luc y monta aussitôt, et, d’une main qui, quoi qu’il en eût, tremblait quelque peu, il traça à la hâte les lignes suivantes :

« Cher ami,

« Vous apprendrez, par la voie de la Renommée, l’accident arrivé à M. de Monsoreau ; nous avons eu ensemble, du côté du vieux taillis, une discussion sur les effets et les causes de la dégradation des murs et l’inconvénient des chevaux qui vont tout seuls. Dans le fort de cette discussion, M. de Monsoreau est tombé sur une touffe de coquelicots et de pissenlits, et cela si malheureusement, qu’il s’est tué roide.

« Votre ami pour la vie.
« Saint-Luc.

« P. S. Comme cela pourrait, au premier moment, vous paraître un peu invraisemblable, j’ajouterai que, lorsque cet accident lui est arrivé, nous avions tous deux l’épée à la main.

« Je pars à l’instant même pour Paris, dans l’intention de faire ma cour au roi, l’Anjou ne me paraissant pas très sûr après ce qui vient de se passer. »

Dix minutes après, un serviteur du baron courait à Angers porter cette lettre, tandis que, par une porte basse donnant sur un chemin de traverse, M. et madame de Saint-Luc partaient seuls, laissant Diane éplorée, et surtout fort embarrassée pour raconter au baron la triste histoire de cette rencontre.

Elle avait détourné les yeux quand Saint-Luc avait passé.

— Servez donc vos amis, avait dit celui-ci à sa femme ; décidément, tous les hommes sont ingrats, il n’y a que moi qui suis reconnaissant.


CHAPITRE LXVI.

OÙ L’ON VOIT LA REINE-MÈRE ENTRER PEU TRIOMPHALEMENT DANS LA BONNE VILLE D’ANGERS.


L’heure même où M. de Monsoreau tombait sous l’épée de Saint-Luc, une grande fanfare de quatre trompettes retentissait aux portes d’Angers, fermées, comme on sait, avec le plus grand soin.

Les gardes, prévenus, levèrent un étendard, et répondirent par des symphonies semblables.

C’était Catherine de Médicis qui venait faire son entrée à Angers, avec une suite assez imposante.

On prévint aussitôt Bussy, qui se leva de son lit, et Bussy alla trouver le prince, qui se mit dans le sien.

Certes, les airs joués par les trompettes angevines étaient de fort beaux airs ; mais ils n’avaient pas la vertu de ceux qui firent tomber les murs de Jéricho ; les portes d’Angers ne s’ouvrirent pas.

Catherine se pencha hors de sa litière pour se montrer aux gardes avancées, espérant que la majesté d’un visage royal ferait plus d’effet que le son des trompettes. Les miliciens d’Angers virent la reine, la saluèrent même avec courtoisie, mais les portes demeurèrent fermées.

Catherine envoya un gentilhomme aux barrières. On fit force politesses à ce gentilhomme. Mais comme il demandait l’entrée pour la reine-mère, en insistant pour que S. M. fût reçue avec honneur, on lui répondit qu’Angers, étant place de guerre, ne s’ouvrait pas sans quelques formalités indispensables.

Le gentilhomme revint très mortifié vers sa maîtresse, et Catherine laissa échapper alors dans toute l’amertume de sa réalité, dans toute la plénitude de son acception, ce mot que Louis XIV modifia plus tard selon les proportions qu’avait prises l’autorité royale :

— J’attends ! murmura-t-elle.

Et ses gentilshommes frémissaient à ses côtés.

Enfin Bussy, qui avait employé près d’une demi-heure à sermonner le duc et à lui forger cent raisons d’État, toutes plus péremptoires les unes que les autres, Bussy se décida. Il fit seller son cheval avec force caparaçons, choisit cinq gentilshommes des plus désagréables à la reine-mère, et, se plaçant à leur tête, alla, d’un pas de recteur, au-devant de Sa Majesté.

Catherine commençait à se fatiguer, non pas d’attendre, mais de méditer des vengeances contre ceux qui lui jouaient ce tour.

Elle se rappelait le conte arabe dans lequel il est dit qu’un génie rebelle, prisonnier dans un vase de cuivre, promet d’enrichir quiconque le délivrerait dans les dix premiers siècles de sa captivité ; puis, furieux d’attendre, jure la mort de l’imprudent qui briserait le couvercle du vase.

Catherine en était là. Elle s’était promis d’abord de gracieuser les gentilshommes qui s’empresseraient de venir à sa rencontre. Ensuite elle fit vœu d’accabler de sa colère celui qui se présenterait le premier.

Bussy parut tout empanaché à la barrière, et regarda vaguement comme un factionnaire nocturne qui écoute plutôt qu’il ne voit.

— Qui vive ? cria-t-il.

Catherine s’attendait au moins à des génuflexions ; son gentilhomme la regarda pour connaître ses volontés.

— Allez, dit-elle, allez encore à la barrière ; on crie : Qui vive ? Répondez, monsieur, c’est une formalité…

Le gentilhomme vint aux pointes de la herse.

— C’est madame la reine-mère, dit-il, qui vient visiter la bonne ville d’Angers.

— Fort bien, monsieur, répliqua Bussy ; veuillez tourner à gauche, à quatre-vingts pas d’ici environ, vous allez rencontrer la poterne.

— La poterne ! s’écria le gentilhomme, la poterne ! Une porte basse pour Sa Majesté !

Bussy n’était plus là pour entendre. Avec ses amis qui riaient sous cape, il s’était dirigé vers l’endroit où, d’après ses instructions, devait descendre Sa Majesté la reine-mère.

— Votre Majesté a-t-elle entendu ? demanda le gentilhomme… La poterne !

— Eh ! oui, monsieur, j’ai entendu ; entrons par là, puisque c’est par là qu’on entre.

Et l’éclair de son regard fit pâlir le maladroit qui venait