— Ah ! ma foi, je n’en trouverais la chasse que plus agréable pour chasser sans lui.
— Ah ! je ne suis pas comme toi, il me manque.
Le duc dit cela d’un singulier air. Bussy le remarqua.
— Ce digne homme, dit-il, votre ami ; il paraît qu’il ne vous a pas délivré non plus, celui-là.
Le duc sourit.
— Bon, dit Bussy, je connais ce sourire-là ; c’est le mauvais : gare au Monsoreau !
— Tu lui en veux donc ? demanda le prince.
— Au Monsoreau ?
— Oui.
— Et de quoi lui en voudrais-je ?
— De ce qu’il est mon ami.
— Je le plains fort, au contraire.
— Qu’est-ce à dire ?
— Que plus vous le ferez monter, plus il tombera de haut, quand il tombera.
— Allons, je vois que tu es de bonne humeur.
— Moi ?
— Oui, c’est quand tu es de bonne humeur que tu me dis de ces choses-là. N’importe, continua le duc, je maintiens mon dire, et Monsoreau nous eût été bien utile dans ce pays-ci.
— Pourquoi cela ?
— Parce qu’il a des biens aux environs.
— Lui ?
— Lui ou sa femme.
Bussy se mordit les lèvres : le duc ramenait la conversation au point d’où il avait eu tant de peine à l’écarter la veille.
— Ah ! vous croyez ? dit-il.
— Sans doute. Méridor est à trois lieues d’Angers ; ne le sais-tu pas, toi qui m’as amené le vieux baron ?
Bussy comprit qu’il s’agissait de n’être point déferré.
— Dame ! dit-il, je vous l’ai amené, moi, parce qu’il s’est pendu à mon manteau, et qu’à moins de lui en laisser la moitié entre les doigts, comme faisait saint Martin, il fallait bien le conduire devers vous… Au reste ma protection ne lui a pas servi à grand’chose.
— Écoute, dit le duc, j’ai une idée.
— Diable ! dit Bussy, qui se défiait toujours des idées du prince.
— Oui… Monsoreau a eu sur toi la première partie ; mais je veux te donner la seconde.
— Comment l’entendez-vous, mon prince ?
— C’est tout simple. Tu me connais, Bussy ?
— J’ai ce malheur, mon prince.
— Crois-tu que je sois homme à subir un affront et à le laisser impuni ?
— C’est selon.
Le duc sourit d’un sourire plus mauvais encore que le premier, en se mordant les lèvres et en secouant la tête de haut en bas.
— Voyons, expliquez-vous, monseigneur, dit Bussy.
— Eh bien ! le grand-veneur m’a volé une jeune fille que j’aimais, pour en faire sa femme ; moi, à mon tour, je veux lui voler sa femme pour en faire ma maîtresse.
Bussy fit un effort pour sourire ; mais, si ardemment qu’il désirât arriver à ce but, il ne parvint qu’à faire une grimace.
— Voler la femme de M. de Monsoreau ! balbutia-t-il.
— Mais il n’y a rien de plus facile, ce me semble, dit le duc : la femme est revenue dans ses terres. Tu m’as dit qu’elle détestait son mari ; je puis donc compter, sans trop de vanité, qu’elle me préférera au Monsoreau, surtout si je lui promets… ce que je lui promettrai.
— Et que lui promettrez-vous, monseigneur ?
— De la débarrasser de son mari.
— Eh ! fut sur le point de s’écrier Bussy, pourquoi donc ne l’avez-vous pas fait tout de suite ?
Mais il eut le courage de se retenir.
— Vous feriez cette belle action ? dit-il.
— Tu verras. En attendant, j’irai toujours faire une visite à Méridor.
— Vous oserez ?
— Pourquoi pas ?
— Vous vous présenterez devant le vieux baron, que vous avez abandonné, après m’avoir promis…
— J’ai une excellente excuse à lui donner.
— Où diable allez-vous donc les prendre ?
— Eh ! sans doute. Je lui dirai : Je n’ai pas rompu ce mariage parce que le Monsoreau, qui savait que vous étiez un des principaux agents de la Ligue, et que j’en étais le chef, m’a menacé de nous vendre tous deux au roi.
— Ah ! ah ! Votre Altesse invente-t-elle celle-là ?
— Pas entièrement, je dois le dire, répondit le duc.
— Alors je comprends, dit Bussy.
— Tu comprends ? dit le duc qui se trompait à la réponse de son gentilhomme.
— Oui.
— Je lui fais accroire qu’en mariant sa fille j’ai sauvé sa vie, à lui, qui était menacée.
— C’est superbe, dit Bussy.
— N’est-ce pas ? Eh ! mais, j’y pense, regarde donc par la fenêtre, Bussy.
— Pourquoi faire ?
— Regarde toujours.
— M’y voilà.
— Quel temps fait-il ?
— Je suis forcé d’avouer à Votre Altesse qu’il fait beau.
— Eh bien ! commande les chevaux, et allons un peu voir comment va le bonhomme Méridor.
— Tout de suite, monseigneur ?
Et Bussy, qui, depuis un quart d’heure, jouait ce rôle éternellement comique de Mascarille dans l’embarras, feignant de sortir, alla jusqu’à la porte et revint.
— Pardon, monseigneur, dit-il ; mais combien de chevaux commandez-vous ?
— Mais quatre, cinq, ce que tu voudras.
— Alors, si vous vous en rapportez de ce soin à moi, monseigneur, dit Bussy, j’en commanderai un cent.
— Bon, un cent, dit le prince surpris, pour quoi faire ?
— Pour en avoir à peu près vingt-cinq dont je sois sûr en cas d’attaque.
Le duc tressaillit.
— En cas d’attaque ? dit-il.
— Oui. J’ai ouï dire, continua Bussy, qu’il y avait force bois dans ces pays-là ; et il n’y aurait rien de rare à ce que nous tombassions dans quelque embuscade.
— Ah ! ah ! dit le duc, tu penserais ?
— Monseigneur sait que le vrai courage n’exclut pas la prudence.
Le duc devint rêveur.
— Je vais en commander cent cinquante, dit Bussy.
Et il s’avança une seconde fois vers la porte.
— Un instant, dit le prince.
— Qu’y a-t-il, monseigneur ?
— Crois-tu que je sois en sûreté à Angers, Bussy ?
— Dame, la ville n’est pas forte ; bien défendue, cependant…
— Oui, bien défendue, mais elle peut être mal défendue ; si brave que tu sois, tu ne seras jamais qu’à un seul endroit.
— C’est probable.
— Si je ne suis pas en sûreté dans la ville, et je n’y suis pas, puisque Bussy en doute…
— Je n’ai pas dit que je doutais, monseigneur.
— Bon, bon ; si je ne suis pas en sûreté, il faut que je m’y mette promptement.
— C’est parler d’or, monseigneur.
— Eh bien ! je veux visiter le château et m’y retrancher.
— Vous avez raison, monseigneur ; de bons retranchements, voyez-vous.
Bussy balbutia ; il n’avait pas l’habitude de la peur, et les paroles prudentes lui manquaient.
— Et puis, une autre idée encore.
— La matinée est féconde, monseigneur.
— Je veux faire venir ici les Méridor.