— Mais tu te caches, au moins.
— Si je me cache, je le crois morbleu bien ! Voyez-vous sous quel costume je vous parle, est-ce que j’ai l’habitude de porter des pourpoints cannelle ? C’est pourtant pour vous encore que je suis entré dans cet affreux fourreau.
— Et où loges-tu ?
— Ah ! voilà où vous apprécierez mon dévouement. Je loge… je loge dans une masure près du rempart, avec une sortie sur la rivière ; mais vous, mon prince, à votre tour, voyons, comment êtes-vous sorti du Louvre ? comment vous ai-je trouvé sur un grand chemin, avec un cheval fourbu entre les jambes et M. d’Aubigné à vos côtés ?
— Parce que j’ai des amis, dit le prince.
— Vous, des amis ? fit Bussy. Allons donc !
— Oui, des amis que tu ne connais pas.
— À la bonne heure ! et quels sont ces amis ?
— Le roi de Navarre et M. d’Aubigné que tu as vu.
— Le roi de Navarre !… Ah ! c’est vrai. N’avez-vous point conspiré ensemble ?
— Je n’ai jamais conspiré, monsieur de Bussy.
— Non ! demandez un peu à La Mole et à Coconnas.
— La Mole, dit le prince d’un air sombre, avait commis un autre crime que celui pour lequel on croit qu’il est mort.
— Bien ! laissons La Mole et revenons à vous ; d’autant plus, monseigneur, que nous aurions quelque peine à nous entendre sur ce point-là. Par où diable êtes-vous sorti du Louvre ?
— Par la fenêtre.
— Ah ! vraiment. Et par laquelle ?
— Par celle de ma chambre à coucher.
— Vous connaissiez donc l’échelle de corde ?
— Quelle échelle de corde ?
— Celle de l’armoire.
— Ah ! il paraît que tu la connaissais, toi ? dit le prince en pâlissant.
— Dame ! dit Bussy. Votre Altesse sait que j’ai eu quelquefois le bonheur d’entrer dans cette chambre.
— Du temps de ma sœur Margot, n’est-ce pas ? et tu entrais par la fenêtre.
— Dame ! vous sortez bien par là, vous. Ce qui m’étonne seulement, c’est que vous ayez trouvé l’échelle.
— Ce n’est pas moi qui l’ai trouvée.
— Qui donc ?
— Personne ; on me l’a indiquée.
— Qui cela ?
— Le roi de Navarre.
— Ah ! ah ! le roi de Navarre connaît l’échelle ; je ne l’aurais pas cru. Enfin, tant il y a que vous voici, monseigneur, sain et sauf et bien portant ; nous allons mettre l’Anjou en feu, et, de la même traînée, l’Angoumois et le Béarn s’enflammeront : cela fera un assez joli petit incendie.
— Mais ne parlais-tu pas d’un rendez-vous ? dit le duc.
— Ah ! morbleu ! c’est vrai ; mais l’intérêt de la conversation me le faisait oublier. Adieu, monseigneur.
— Prends-tu ton cheval ?
— Dame ! s’il est utile à monseigneur, Son Altesse peut le garder ; j’en ai un second.
— Alors, j’accepte ; plus tard nous ferons nos comptes.
— Oui, monseigneur, et Dieu veuille que ce ne soit pas moi qui vous redoive quelque chose !
— Pourquoi cela ?
— Parce que je n’aime pas celui que vous chargez d’ordinaire d’apurer vos comptes.
— Bussy !
— C’est vrai, monseigneur ; il était convenu que nous ne parlerions plus de cela.
Le prince, qui sentait le besoin qu’il avait de Bussy, lui tendit la main.
Bussy lui donna la sienne, mais en secouant la tête.
Tous deux se séparèrent.
CHAPITRE LVII.
DIPLOMATIE DE M. DE SAINT-LUC.
Bussy retourna chez lui à pied, au milieu d’une nuit épaisse ; mais, au lieu de Saint-Luc qu’il s’attendait à y rencontrer, il ne trouva qu’une lettre qui lui annonçait l’arrivée de son ami pour le lendemain.
En effet, vers six heures du matin, Saint-Luc, suivi d’un piqueur, avait quitté Méridor et avait dirigé sa course vers Angers. Il était arrivé au pied des remparts à l’ouverture des portes, et, sans remarquer l’agitation singulière du peuple à son lever, il avait gagné la maison de Bussy. Les deux amis s’embrassèrent cordialement.
— Daignez, mon cher Saint-Luc, dit Bussy, accepter l’hospitalité de ma pauvre chaumière. Je campe à Angers.
— Oui, dit Saint-Luc, à la manière des vainqueurs, c’est-à-dire sur le champ de bataille.
— Que voulez-vous dire, cher ami ?
— Que ma femme n’a pas plus de secrets pour moi que je n’en ai pour elle, mon cher Bussy, et qu’elle m’a tout raconté. Il y a communauté entière entre nous : recevez tous mes compliments, mon maître en toutes choses, et, puisque vous m’avez mandé, permettez-moi de vous donner un conseil.
— Donnez.
— Débarrassez-vous vite de cet abominable Monsoreau : personne ne connaît à la cour votre liaison avec sa femme, c’est le bon moment ; seulement, il ne faut pas le laisser échapper ; lorsque plus tard vous épouserez la veuve, on ne dira pas au moins que vous l’avez faite veuve pour l’épouser.
— Il n’y a qu’un obstacle à ce beau projet, qui m’était venu d’abord à l’esprit comme il s’est présenté au vôtre.
— Vous voyez bien, et lequel ?
— C’est que j’ai juré à Diane de respecter la vie de son mari, tant qu’il ne m’attaquera point, bien entendu.
— Vous avez eu tort.
— Moi !
— Vous avez eu le plus grand tort.
— Pourquoi cela ?
— Parce qu’on ne fait point de pareils serments. Que diable ! si vous ne vous dépêchez pas, si vous ne prenez pas les devants, c’est moi qui vous le dis, le Monsoreau, qui est confit en malices, vous découvrira, et, s’il vous découvre, comme il n’est rien moins que chevaleresque, il vous tuera.
— Il arrivera ce que Dieu aura décidé, dit Bussy en souriant ; mais, outre que je manquerais au serment que j’ai fait à Diane en lui tuant son mari…
— Son mari !… vous savez bien qu’il ne l’est pas.
— Oui, mais il n’en porte pas moins le titre. Outre, dis-je, que je manquerais au serment que je lui ai fait, le monde me lapiderait, mon cher, et celui qui aujourd’hui est un monstre à tous les regards paraîtrait dans sa bière un ange que j’aurais mis au cercueil.
— Aussi ne vous conseillerais-je pas de le tuer vous-même.
— Des assassins ! ah ! Saint-Luc, vous me donnez là un triste conseil.
— Allons donc ! qui vous parle d’assassins ?
— De quoi parlez-vous donc, alors ?
— De rien, cher ami ; une idée qui m’est passée par l’esprit et qui n’est pas suffisamment mûre pour que je vous la communique. Je n’aime pas plus ce Monsoreau que vous, quoique je n’aie pas les mêmes raisons de le détester : parlons donc de la femme au lieu de parler du mari.
Bussy sourit.
— Vous êtes un brave compagnon, Saint-Luc, dit Bussy, et vous pouvez compter sur mon amitié. Or, vous le savez, mon amitié se compose de trois choses : de ma bourse, de mon épée et de ma vie.
— Merci, dit Saint-Luc, j’accepte, mais à charge de revanche.