plus inégal et surtout plus gros que ne l’est la balle d’une arquebuse.
— Oh ! une pierre, dit-il, c’est donc un coup de fauconneau ? mais encore j’eusse entendu l’explosion.
Et en même temps il retira et allongea la jambe ; quoique la douleur eût été assez vive, le prince n’avait évidemment rien de cassé.
Il ramassa la pierre et examina le carreau.
La pierre avait été lancée si rudement, qu’elle avait plutôt troué que brisé la vitre.
La pierre paraissait enveloppée dans un papier.
Alors les idées du duc commencèrent à changer de direction. Cette pierre, au lieu de lui être lancée par quelque ennemi, ne lui venait-elle pas, au contraire, de quelque ami ?
La sueur lui monta au front ; l’espérance, comme l’effroi, a ses angoisses.
Le duc s’approcha de la lumière.
En effet, autour de la pierre, un papier était roulé et maintenu avec une soie nouée de plusieurs nœuds. Le papier avait naturellement amorti la dureté du silex, qui, sans cette enveloppe, eût certes causé au prince une douleur plus vive que celle qu’il avait ressentie.
Briser la soie, dérouler le papier et le lire fut pour le duc l’affaire d’une seconde : il était complètement ressuscité.
Une lettre, murmura-t-il en jetant autour de lui un regard furtif.
Et il lut :
« Êtes-vous las de garder la chambre ? aimez-vous le grand air et la liberté ? Entrez dans le cabinet où la reine de Navarre avait caché votre pauvre ami, M. de La Mole ; ouvrez l’armoire, et en déplaçant le tasseau du bas, vous trouverez un double fond : dans ce double fond, il y a une échelle de soie ; attachez-la vous-même au balcon, deux bras vigoureux vous roidiront l’échelle au bas du fossé. Un cheval, vite comme la pensée, vous mènera en lieu sûr.
— Un ami ! s’écria le prince ; un ami ! oh ! je ne savais pas avoir un ami. Quel est donc cet ami qui songe à moi ?
Et le duc réfléchit un moment ; mais, ne sachant sur qui arrêter sa pensée, il courut regarder à la fenêtre ; il ne vit personne.
— Serait-ce un piège ? murmura le prince, chez lequel la peur s’éveillait, le premier de tous les sentiments.
— Mais d’abord, ajouta-t-il, on peut savoir si cette armoire a un double fond, et si dans ce double fond il y a une échelle.
Le duc alors, sans changer la lumière de place, et résolu, pour plus de précaution, au simple témoignage de ses mains, se dirigea vers ce cabinet dont tant de fois jadis il avait poussé la porte avec un cœur palpitant, alors qu’il s’attendait à y trouver madame la reine de Navarre, éblouissante de cette beauté que François appréciait plus qu’il ne convenait peut-être à un frère.
Cette fois encore, il faut l’avouer, le cœur battait au duc avec violence.
Il ouvrit l’armoire à tâtons, explora toutes les planches, et, arrivé à celle d’en bas, après avoir pesé au fond et pesé sur le devant, il pesa sur un des côtés et sentit la planche qui faisait la bascule.
Aussitôt il introduisit sa main dans la cavité et sentit au bout de ses doigts le contact d’une échelle de soie.
Comme un voleur qui s’enfuit avec sa proie, le duc se sauva dans sa chambre emportant son trésor.
Dix heures sonnèrent, le duc songea aussitôt à la visite qui avait lieu toutes les heures ; il se hâta de cacher son échelle sous le coussin d’un fauteuil et s’assit dessus.
Elle était si artistement faite, qu’elle tenait parfaitement cachée dans l’étroit espace où le duc l’avait enfouie.
En effet, cinq minutes ne s’étaient pas écoulées, que Maugiron parut en robe de chambre, tenant une épée nue sous son bras gauche et un bougeoir de la main droite.
Tout en entrant chez le duc, il continuait de parler à ses amis.
— L’ours est en fureur, dit une voix, il cassait tout il n’y a qu’un instant ; prends garde qu’il ne te dévore, Maugiron.
— Insolent ! murmura le duc.
— Je crois que Votre Altesse m’a fait l’honneur de m’adresser la parole, dit Maugiron de son air le plus impertinent.
Le duc, prêt à éclater, se contint en réfléchissant qu’une querelle entraînerait une perte de temps et ferait peut-être manquer son évasion.
Il dévora son ressentiment et fit pivoter son fauteuil de manière à tourner le dos au jeune homme.
Maugiron, suivant les données traditionnelles, s’approcha du lit pour examiner les draps, et de la fenêtre pour reconnaître la présence des rideaux ; il vit bien une vitre cassée, mais il songea que c’était le duc qui, dans sa colère, l’avait brisée ainsi.
— Ouais, Maugiron, cria Schomberg, es-tu déjà mangé, que tu ne dis mot ? Dans ce cas, soupire, au moins, qu’on sache à quoi s’en tenir et qu’on te venge.
Le duc faisait craquer ses doigts d’impatience.
— Non pas, dit Maugiron. Au contraire, mon ours est fort doux et tout à fait dompté.
Le duc sourit silencieusement au milieu des ténèbres.
Quant à Maugiron, sans même saluer le prince, ce qui était la moindre politesse qu’il dût à un si haut seigneur, il sortit, et, en sortant, il ferma la porte à double tour.
Le prince le laissa faire, puis, lorsque la clef eut cessé de grincer dans la serrure :
— Messieurs, murmura-t-il, prenez garde à vous, c’est un animal très fin qu’un ours.
CHAPITRE LII.
VENTRE-SAINT-GRIS.
Resté seul, le duc d’Anjou, sachant qu’il avait au moins une heure de tranquillité devant lui, tira son échelle de cordes de dessous son coussin, la déroula, en examina chaque nœud, en sonda chaque échelon, tout cela avec la plus minutieuse prudence.
— L’échelle est bonne, dit-il, et, en ce qui dépend d’elle, on ne me l’offre point comme un moyen de me briser les côtes.
Alors il la déploya toute, compta trente-huit échelons distants de quinze pouces chacun.
— Allons, la longueur est suffisante, pensa-t-il ; rien à craindre encore de ce côté.
Il resta un instant pensif.
— Ah ! j’y songe, dit-il, ce sont ces damnés mignons qui m’envoient cette échelle : je l’attacherai au balcon, ils me laisseront faire, et tandis que je descendrai, ils viendront couper les liens, voilà le piège.
Puis, réfléchissant encore :
— Eh ! non, dit-il, ce n’est pas possible ; ils ne sont point assez niais pour croire que je m’exposerai à descendre sans barricader la porte, et, la porte barricadée, ils ont dû calculer que j’aurai le temps de fuir avant qu’ils l’aient enfoncée.
— Ainsi ferai-je, dit-il en regardant autour de lui, ainsi ferais-je certainement si je me décidais à fuir.
Cependant, comment supposer que je croirai à l’innocence de cette échelle trouvée dans une armoire de la reine de Navarre ? Car, enfin, quelle personne au monde, excepte ma sœur Marguerite, pourrait connaître l’existence de cette échelle ?
Voyons, répéta-t-il, quel est l’ami ? Le billet est signé : Un ami. Quel est l’ami du duc d’Anjou qui connaît si bien le fond des armoires de mon appartement ou de celui de ma sœur ?
Le duc achevait à peine de formuler cet argument, qui lui semblait victorieux, que, relisant le billet pour en reconnaître l’écriture, si la chose était possible, il fut pris d’une idée soudaine.