monde et de rumeurs, quand le jour déjà disparu ne permettait plus de distinguer les objets dans l’appartement, Bussy entendit des voix très hautes et très nombreuses dans son antichambre.
Un serviteur accourut alors tout effaré.
— Monseigneur le duc d’Anjou, dit-il.
— Fais entrer, répliqua Bussy en fronçant le sourcil à l’idée que son maître s’inquiétait de lui, ce maître dont il méprisait jusqu’à la politesse.
Le duc entra. La chambre de Bussy était sans lumière ; les cœurs malades aiment l’obscurité, car ils peuplent l’obscurité de fantômes.
— Il fait trop sombre chez toi, Bussy, dit le duc ; cela doit te chagriner.
Bussy garda le silence ; le dégoût lui fermait la bouche.
— Es-tu donc malade gravement, continua le duc, que tu ne me réponds pas ?
— Je suis fort malade, en effet, monseigneur, murmura Bussy.
— Alors, c’est pour cela que je ne t’ai point vu chez moi depuis deux jours ? dit le duc.
— Oui, monseigneur, dit Bussy.
Le prince, piqué de ce laconisme, fit deux ou trois tours par la chambre en regardant les sculptures qui se détachaient dans l’ombre, et en maniant les étoffes.
— Tu es bien logé, Bussy, ce me semble du moins, dit le duc.
Bussy ne répondit pas.
— Messieurs, dit le duc à ses gentilshommes, demeurez dans la chambre à côté ; il faut croire que, décidément, mon pauvre Bussy est bien malade. Çà, pourquoi n’a-t-on pas prévenu Miron ? Le médecin d’un roi n’est pas trop bon pour Bussy.
Un serviteur de Bussy secoua la tête : le duc regarda ce mouvement.
— Voyons, Bussy, as-tu des chagrins ? demanda le prince presque obséquieusement.
— Je ne sais pas, répondit le comte.
Le duc s’approcha, pareil à ces amants qu’on rebute, et qui, à mesure qu’on les rebute, deviennent plus souples et plus complaisants.
— Voyons ! parle-moi donc, Bussy ! dit-il.
— Eh ! que vous dirai-je, monseigneur ?
— Tu es fâché contre moi, hein ? ajouta-t-il à voix basse.
— Moi, fâché, de quoi ? D’ailleurs, on ne se fâche point contre les princes. À quoi cela servirait-il ?
Le duc se tut.
— Mais, dit Bussy à son tour, nous perdons le temps en préambules. Allons au fait, monseigneur.
Le duc regarda Bussy.
— Vous avez besoin de moi, n’est-ce pas ? dit ce dernier avec une dureté incroyable.
— Ah ! monsieur de Bussy !
— Eh ! sans doute, vous avez besoin de moi, je le répète ; croyez-vous que je pense que c’est par amitié, que vous me venez voir ? Non, pardieu, car vous n’aimez personne.
— Oh ! Bussy ! toi, me dire de pareilles choses !
— Voyons, finissons-en ; parlez, monseigneur, que vous faut-il ? Quand on appartient à un prince, quand ce prince dissimule au point de vous appeler mon ami, eh bien ! il faut lui savoir gré de la dissimulation et lui faire tout sacrifice, même celui de la vie. Parlez.
Le duc rougit ; mais, comme il était dans l’ombre, personne ne vit cette rougeur.
— Je ne voulais rien de toi, Bussy, et tu te trompes, dit-il, en croyant ma visite intéressée. Je désire seulement, voyant le beau temps qu’il fait, et tout Paris étant ému ce soir de la signature de la Ligue, t’avoir en ma compagnie pour courir un peu la ville.
Bussy regarda le duc.
— N’avez-vous pas Aurilly ? dit-il.
— Un joueur de luth.
— Ah ! monseigneur ! vous ne lui donnez pas toutes ses qualités, je croyais qu’il remplissait encore près de vous d’autres fonctions. Et, en dehors d’Aurilly, d’ailleurs, vous avez encore dix ou douze gentilshommes dont j’entends les épées retentir sur les boiseries de mon antichambre.
La portière se souleva lentement.
— Qui est là ? demanda le duc avec hauteur, et qui entre sans se faire annoncer dans la chambre où je suis ?
— Moi, Remy, répondit le Haudoin en faisant une entrée majestueuse et nullement embarrassée.
— Qu’est-ce que Remy ? demanda le duc.
— Remy, monseigneur, répondit le jeune homme, c’est le médecin.
— Remy, dit Bussy, c’est plus que le médecin, monseigneur, c’est l’ami.
— Ah ! fit le duc blessé.
— Tu as entendu ce que monseigneur désire, demanda Bussy en s’apprêtant à sortir du lit.
— Oui, que vous l’accompagniez, mais…
— Mais quoi ! dit le duc.
— Mais vous ne l’accompagnerez pas, monseigneur, répondit le Haudoin.
— Et pourquoi cela ? s’écria François.
— Parce qu’il fait trop froid dehors, monseigneur.
— Trop froid ? dit le duc surpris qu’on osât lui résister.
— Oui ! trop froid. En conséquence, moi qui réponds de la santé de M. de Bussy à ses amis et à moi-même, je lui défends de sortir.
Bussy n’en allait pas moins sauter en bas du lit, mais la main de Remy rencontra la sienne et la lui serra d’une façon significative.
— C’est bon, dit le duc. Puisqu’il courrait si gros risque à sortir, il restera.
Et Son Altesse, piquée outre mesure, fit deux pas vers la porte.
Bussy ne bougea point.
Le duc revint vers le lit.
— Ainsi c’est décidé, dit-il, tu ne te risques point ?
— Vous le voyez, monseigneur, dit Bussy, le médecin le défend.
— Tu devrais voir Miron, Bussy, c’est un grand docteur.
— Monseigneur, j’aime mieux un médecin ami qu’un médecin savant, dit Bussy.
— En ce cas, adieu !
— Adieu, monseigneur !
Et le duc sortit avec grand fracas.
À peine fut-il dehors, que Remy, qui l’avait suivi des yeux jusqu’à ce qu’il fût sorti de l’hôtel, accourut près du malade.
— Çà, dit-il, monseigneur, qu’on se lève, et tout de suite, s’il vous plaît.
— Pour quoi faire me lever ?
— Pour venir faire un tour avec moi. Il fait trop chaud dans cette chambre.
— Mais tu disais tout à l’heure au duc qu’il faisait trop froid dehors !
— Depuis qu’il est sorti la température a changé.
— De sorte que… dit Bussy en se soulevant avec curiosité.
— De sorte qu’en ce moment, répondit le Haudoin, je suis convaincu que l’air vous serait bon.
— Je ne comprends pas, fit Bussy.
— Est-ce que vous comprenez quelque chose aux potions que je vous donne ? vous les avalez cependant. Allons ! sus ! levons-nous : une promenade avec M. le duc d’Anjou était dangereuse, avec le médecin elle est salutaire ; c’est moi qui vous le dis ; n’avez-vous donc plus confiance en moi ? alors il faut me renvoyer.
— Allons donc, dit Bussy, puisque tu le veux.
— Il le faut.
Bussy se leva pâle et tremblant.
— L’intéressante pâleur, dit Remy, le beau malade !
— Mais où allons-nous ?
— Dans un quartier dont j’ai analysé l’air aujourd’hui même.
— Et cet air ?