Page:Dumas - La Dame de Monsoreau, 1846.djvu/106

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Fort bien, dit le roi.

— Très sensé, dit Chicot.

— Et j’en connais les espérances, ajouta triomphalement Morvilliers.

— C’est superbe ! s’écria Chicot.

Le roi fit signe au Gascon de se taire.

Le duc d’Anjou ne perdit pas de vue l’orateur.

— Pendant plus de deux mois, dit le chancelier, j’entretins aux gages de Votre Majesté des hommes de beaucoup d’adresse, d’un courage à toute épreuve, d’une avidité insatiable, c’est vrai, mais que j’avais soin de faire tourner au profit du roi ; car, tout en les payant magnifiquement, j’y gagnais encore. J’appris d’eux que, moyennant le sacrifice d’une forte somme d’argent, je connaîtrais le premier rendez-vous des conspirateurs.

— Voilà qui est bon, dit Chicot, paye, mon roi, paye !

— Eh ! qu’à cela ne tienne, s’écria Henri, voyons… chancelier, le but de ce complot, l’espérance des conspirateurs ?…

— Sire ! il ne s’agit de rien moins que d’une seconde Saint-Barthélemy.

— Contre qui ?

— Contre les huguenots.

Les assistants se regardèrent surpris.

— Combien cela vous a-t-il coûté, à peu près ? demanda Chicot.

— Soixante-quinze mille livres d’une part, cent mille de l’autre.

Chicot se retourna vers le roi.

— Si tu veux, pour mille écus, je te dis le secret de M. de Morvilliers, s’écria le Gascon.

Celui-ci fit un geste de surprise ; le duc d’Anjou fit meilleur visage qu’on n’eût pu s’y attendre.

— Dis, répliqua le roi.

— C’est la Ligue pure et simple, fit Chicot, la Ligue commencée depuis dix ans. M. de Morvilliers a découvert ce que tout bourgeois parisien sait comme son pater.

— Monsieur… interrompit le chancelier.

— Je dis la vérité… et je le prouverai, s’écria Chicot d’un ton d’avocat.

— Dites-moi le lieu de la réunion des ligueurs, alors.

— Très volontiers, 1° la place publique ; 2° la place publique ; 3° les places publiques.

— Monsieur Chicot veut rire, dit en grimaçant le chancelier, et leur signe de ralliement ?

— Ils sont habillés en parisiens et remuent les jambes lorsqu’ils marchent, répondit gravement Chicot.

Un éclat de rire général accueillit cette explication. M. de Morvilliers crut qu’il serait de bon goût de céder à l’entraînement, et il rit avec les autres. Mais redevenant sombre :

— Enfin, dit-il, mon espion a assisté à l’une de leurs séances, et cela dans un lieu que M. Chicot ne connaît pas.

Le duc d’Anjou pâlit.

— Où cela ? dit le roi.

— À l’abbaye Sainte-Geneviève !

Chicot laissa tomber une poule en papier qu’il embarquait dans la barque amirale.

— L’abbaye Sainte-Geneviève ! dit le roi.

— C’est impossible, murmura le duc.

— Cela est, dit Morvilliers, satisfait de l’effet produit et regardant avec triomphe toute l’assemblée.

— Et qu’ont-ils fait, monsieur le chancelier ? qu’ont-ils décidé ? demanda le roi.

— Que les ligueurs se nommeraient des chefs, que chaque enrôlé s’armerait, que chaque province recevrait un envoyé de la métropole insurrectionnelle, que tous les huguenots chéris de Sa Majesté, ce sont leurs expressions…

Le roi sourit.

— Seraient massacrés à un jour désigné.

— Voilà tout ? demanda Henri.

— Peste ! dit Chicot, on voit que tu es catholique.

— Est-ce bien tout ? dit le duc.

— Non, monseigneur…

— Peste ! je crois bien que ce n’est pas tout. Si nous n’avions que cela pour 175 000 livres, le roi serait volé.

— Parlez, chancelier, dit le roi.

— Il y a des chefs…

Chicot vit s’agiter sur le cœur du duc son pourpoint, que soulevaient les battements.

— Tiens, tiens, tiens, dit-il, un complot qui a des chefs ; c’est étonnant. Cependant il nous faut encore quelque chose pour nos 175 000 livres.

— Ces chefs… leurs noms ? demanda le roi ; comment s’appellent ces chefs ?

— D’abord, un prédicateur, un fanatique, un énergumène, dont j’ai acheté le nom 10 000 livres.

— Et vous avez bien fait.

— Le frère génovéfain Gorenflot !

— Pauvre diable ! fit Chicot avec une commisération véritable. Il était dit que cette aventure ne lui réussirait pas !

— Gorenflot ! dit le roi en écrivant ce nom ; bien… après…

— Après… dit le chancelier avec hésitation, mais, sire, c’est tout….

Et Morvilliers promena encore sur l’assemblée son regard inquisiteur et mystérieux, qui semblait dire : Si Votre Majesté était seule, elle en saurait bien davantage.

— Dites, chancelier, je n’ai que des amis ici… dites.

— Oh ! sire, celui que j’hésite à nommer a aussi des amis bien puissants….

— Près de moi ?

— Partout.

— Sont-ils plus puissants que moi ? s’écria Henri pâle de colère et d’inquiétude.

— Sire, un secret ne se dit pas à haute voix. Excusez-moi, je suis homme d’État.

— C’est juste.

— C’est fort sensé ! dit Chicot, mais nous sommes tous hommes d’État.

— Monsieur, dit le duc d’Anjou, nous allons présenter au roi nos très humbles respects, si la communication ne peut être faite en notre présence.

M. de Morvilliers hésitait. Chicot guettait jusqu’au moindre geste, craignant que le chancelier, tout naïf qu’il semblait être, n’eût réussi à découvrir quelque chose de moins simple que ses premières révélations.

Le roi fit signe au chancelier de s’approcher, au duc d’Anjou de demeurer en place, à Chicot de faire silence, aux trois favoris de détourner leur attention.

Aussitôt, M. de Morvilliers se pencha vers l’oreille de Sa Majesté ; mais il n’avait pas fait la moitié du mouvement compassé selon toutes les règles de l’étiquette, qu’une immense clameur retentit dans la cour du Louvre. Le roi se redressa subitement ; MM. de Quélus et d’Épernon se précipitèrent vers la fenêtre ; M. d’Anjou porta la main à son épée, comme si tout ce bruit menaçant eût été dirigé contre lui.

Chicot, se haussant sur les pieds, voyait dans la cour et dans la chambre.

— Tiens ! M. de Guise, s’écria-t-il le premier, M. de Guise qui entre au Louvre !

Le roi fit un mouvement.

— C’est vrai, dirent les gentilshommes.

— Le duc de Guise ? balbutia M. d’Anjou.

— Voilà qui est bizarre… n’est-ce pas ? que M. le duc de Guise soit à Paris, dit lentement le roi, qui venait de lire dans le regard presque hébété de M. de Morvilliers le nom que ce dernier voulait lui dire à l’oreille.

— Est-ce que la communication que vous vouliez me faire avait trait à mon cousin de Guise ? demanda-t-il à voix basse au magistrat.

— Oui, sire, c’est lui qui présidait la séance, répondit le chancelier sur le même ton.

— Et les autres ?…

— Je n’en connais pas d’autres…

Henri consulta Chicot d’un coup d’œil.

— Ventre de biche ! s’écria le Gascon en se posant royalement : faites entrer mon cousin de Guise !

Et, se penchant vers Henri :

— En voilà un, lui dit-il à l’oreille, dont tu connais assez