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Althotas s’attendait sans doute à ce que Balsamo allait se précipiter au milieu de la flamme pour sauver ce premier héritage, que le vieillard anéantissait avec lui ; mais il se trompait : Balsamo demeura calme, il s’isola sur le plancher mobile, de manière à ce que la flamme ne pût l’atteindre.

Cette flamme enveloppait Althotas, mais au lieu de l’épouvanter, on eût dit que le vieillard se retrouvait dans son élément, et que la flamme, comme elle fait sur la salamandre sculptée sur nos vieux châteaux, le caressait au lieu de le brûler.

Balsamo le regardait toujours ; la flamme gagnait les boiseries, enveloppait complétement le vieillard ; elle rampait au pied du fauteuil de chêne massif sur lequel il était assis, et, chose étrange, quoiqu’elle dévorât déjà le bas de son corps, il semblait ne pas la sentir.

Au contraire, au contact de ce feu qui semblait épurateur, les muscles du moribond se détendirent graduellement, et une sérénité inconnue envahit comme un masque tous les traits de son visage. Isolé du corps à cette dernière heure, le vieux prophète, sur son char de feu, semblait prêt à monter au ciel. Tout-puissant à cette dernière heure, l’esprit oubliait la matière, et, sûr de n’avoir rien à attendre, il se porta énergiquement vers les sphères supérieures où le feu semblait l’enlever.

Dès ce moment les yeux d’Althotas, qui semblaient retrouver leur vie au premier reflet de la flamme, prirent un point de vue vague, perdu, qui n’était ni le ciel ni la terre, mais qui semblait vouloir percer l’horizon. Calme et résigné, analysant toute sensation, écoutant toute douleur, comme une dernière voix de la terre, le vieux mage laissa échapper sourdement ses adieux à la puissance, à la vie, à l’espoir.

— Allons, allons, dit-il, je meurs sans regret ; j’ai tout possédé sur la terre ; j’ai tout connu ; j’ai pu tout ce qu’il est donné à la créature de pouvoir ; j’allais atteindre à l’immortalité.

Balsamo fit entendre un sombre rire dont le sinistre éclat rappela l’attention du vieillard.