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« — Oh ! vous n’êtes pas un Sully, lui ai-je dit rouge de colère, et je ne suis pas une Gabrielle.

« — Madame, on veut assassiner le roi, comme on a assassiné Henri IV.

« Pour le coup, le roi pâlit, trembla, passa la main sur son front.

« Je me crus vaincue.

« — Sire, dis-je, il faut laisser M. continuer, car ses commis ont sans doute aussi lu dans tous ces chiffres que je conspirais contre vous.

« Et je sortis.

« — Dame ! c’était le lendemain du philtre, cher comte. Le roi préféra ma présence à celle de M. de Sartine, et courut après moi.

« — Ah ! par grâce, comtesse, ne vous fâchez pas, dit-il.

« — Alors chassez ce vilain homme, sire ; il sent la prison.

« — Allons, Sartine, allez-vous-en, dit le roi en haussant les épaules.

« — Et je vous défends à l’avenir, non seulement de vous présenter chez moi, ajoutai-je, mais encore de me saluer.

« Pour le coup, notre magistrat perdit la tête ; il vint à moi et me baisa humblement la main.

« — Eh bien, soit ! dit-il, n’en parlons plus, belle dame ; mais vous perdez l’État. Votre protégé, puisque vous le voulez à toute force, sera respecté par mes agents. »

Balsamo parut plongé dans une rêverie profonde.

— Allons, dit la comtesse, voilà que vous ne me remerciez pas de vous avoir épargné la connaissance de la Bastille ; ce qui eût été injuste peut-être, mais n’en eût pas été moins désagréable.

Balsamo ne répondit rien ; seulement il tira de sa poche un flacon renfermant une liqueur vermeille comme du sang.

— Tenez, madame, dit-il, pour cette liberté que vous me donnez, je vous donne, moi, vingt ans de jeunesse de plus.

La comtesse glissa le flacon dans son corset, et partit joyeuse et triomphante.

Balsamo demeura rêveur.